samedi 17 juin 2023

SURTOURISME


 C’est pas neuf, loin de là. Ça avance à bas bruit, et personne ne s’en aperçoit avant qu’il ne soit trop tard. Nous sommes dans les années 1980. L’ami PK me demande d’escorter un ministre du tourisme venu à Paris acheter du matériel de pêche à la mouche. Vrai ministre, cousin du roi de son minuscule pays, super bien sapé et ancien élève d’une université américaine style Harvard.  La journée se passe admirablement, l’excellence est ravie et m’invite à diner.

 

En fait, il veut une consultation. Son pays est assailli de demande de visas car le monde entier veut le visiter. Partant du principe que ce qui est rare est cher, chaque touriste est obligé de dépenser quotidiennement 200 USD. Pour bouffer des lentilles et dormir dans des monastères. A priori, ça ne freine pas la demande. Je les connais, les visiteurs. A l’exception d’une frange vraiment fascinée, comme mon copain Snafu, ce sont des collectionneurs de visas. Etre allé où peu sont allés. Voyageurs de diners en ville. Ça convient au ministre, même si la sélection par l’argent ne lui plait pas trop car éloignée des valeurs nationales. Mais nous sommes d’accord : il faut sélectionner, le pays est trop petit pour supporter l’afflux et pour le financer, car les touristes coutent, en routes, en hébergement, en nettoyage. Je suggère donc un examen pré-visa, le genre de truc dont je reve pour la France : interdit de visiter une cathédrale sans certificat préalable. Le savoir ne coute rien, sauf le temps de l’acquérir.

 

Il y a un hic et c’est le temps. Le touriste moderne achète ses voyages comme ses chaussures : achat d’impulsion et donc non-achat. Encore étions nous aux temps pré-internet, dans l’ante-clic. Le ministre hésitait. Qui hésite ne vous mérite pas, lui sussurais je. Mais je le sentais tenté par le modernisme.

 

He bé, on y est. Le modernisme, c’est l’invasion. Par centaines au Mont St-Michel qu’il faudra bien fermer. Par centaines au zoo de Beauval. Par centaines à Collonges la Rouge. Des centaines de consommateurs de sensations, surtout pas de savoir, des consommateurs d’immédiat car ils savent que le temps n’est pas chose facile. Des destructeurs doublant les consommateurs, ces gens viennent chier chez les autres et obligent à construire canalisations et réservoirs à merde. Le touriste est destructeur par essence, destructeur de lieux, de savoir, par souci de simplification. J’ai été affligé de voir des expos, simplificatrices et réductrices, résumant mille ans d’histoire en cinq affiches. Gérés par de parfaits imbéciles, les offices de tourisme participent gaiement à la pulsion simplificatrice destructrice de notre histoire commune. La culture ne se démocratise pas sauf à disparaitre et elle ne se simplifie pas sauf à mourir.

 

Les agents de voyages sont devenus les maquignons des nouvelles transhumances. Et oui, j’ai du mépris pour eux. Appelés à gérer le monde, ils savent à peine gérer leurs agences. De Jacques Maillot à Jean Pierre Picon, j’ai connu les inventeurs du voyage moderne, puis leurs successeurs, ceux qui ont ouvert le Grand Canal aux croisiéristes. A chaque génération disparaissait du savoir, remplacé par du discours vide. 


Vide. Là est le qualificatif du monde moderne.

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