mardi 13 juin 2023

LE ROMAN NATIONAL-2


 

Après 1870, la situation ne changeât pas. Après 1970, je découvris sa sœur Anne et son livre admirable = L’héritier de la maison. Elle renvoyait au fameux passage de César qui précise qu’on trouve trois peuples en Gaule : les Celtes, les Gaulois et les Aquitains et que les Aquitains diffèrent des deux autres dont ils sont séparés par la Garonne. Le roman national se fissurait, mais la piste semblait bonne. Les Aquitains n’avaient pas le même système d’héritage que les autres peuples et pratiquaient la primogéniture absolue. On le savait pour les Basques, Anne Zink l’affirmait pour l’ensemble du bassin hydrographique. Or, il est simplement impossible qu’un tel fait social soit neutre. Les Aquitains n’avaient pas la vision de la femme des Celtes et des Gaulois. Au jeu de la généalogie, ils n’avaient pas les cartes de leurs voisins. Pour le dire clairement, les Aquitains n’avaient pas leur place dans le roman national. On les y a fait entrer de force malgré tout.

 

Car ne nous méprenons pas, l’idéologie du roman national est toujours active. Mon maitre en histoire médiévale, Edouard Perroy, m’avait fait remarquer avec insistance que Marc Bloch ne m’apporterait rien, sa société féodale étant axée sur les terres entre Loire et Meuse. L’histoire de France est honteusement géographique, spécialiste des Plantagenet, Perroy le savait mieux que quiconque, je crois qu’il préservait sa carrière.

 

Il était difficile de nier l’Aquitaine, mais la présentation n’en changeait pas. Sous la plume des historiens, Aliénor restait une prostituée. Même Duby, fasciné par la représentation, n’en sortait pas. Le portrait des historiens du temps était figé et le spectre de l’anachronisme plane sur la réflexion. Personne ne dit l’essentiel : la sexualité d’Aliénor est fille de son pouvoir. La primogéniture absolue lui offre un bon tiers du territoire.

 

La civilisation gasconne est niée. Le père d’Aliénor est le premier troubadour, le créateur de l’amour courtois, mais le texte entre tous vénéré est la chanson de Roland, aujourd’hui encore considérée comme le premier texte littéraire français. On appelle « matière de Bretagne » des textes écrits en Champagne et la « matière de France » s’appuie sur des textes narrant les derniers épisodes de la Reconquista. La littérature est convoquée à la barre du tribunal historique.

 

Les historiens de la littérature ont beau jeu de s’abriter derrière l’absence de documents. Le roman national a magnifié la croisade contre les Albigeois qui s’est soldée par la prise de possession des fiefs méridionaux par les complices de Simon de Monfort et par la destruction corrélative des archives en langue d’oc. Pas de documents, pas d’histoire. Et personne, jamais, ne s’est interrogé sur cette lacune. Il est vrai que les traces sont ténues.

 

Mais on découvre. Dietmar Rieger, par exemple. Romaniste teuton qui utilise plus volontiers « provençal » que « gascon » mais comprend à merveille les subtilités de la langue du duc Guillaume. Son travail est un travail de recherche sur l’opposition chanter/dire où il apparait que chanter est plus méridional, les exemples septentrionaux manquant cruellement. Les recherches continuent.

 

Le roman national est simple, voire simpliste : les Capétiens construisaient la France alors que l’Aquitaine était anglaise. Richard Cœur de Lion n’a pas sa place chez Michelet car il fait de l’ombre à Philippe Auguste. Du duc Guillaume au duc Richard, l’histoire de Gascogne quitte l’histoire de France. Où suis-je ?

 

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