jeudi 5 mai 2011

LA GUERRE ET LA COM'

Je suis assez simple comme mec. J’ai la réflexion basique. Aussi, quand je vois des centaines de Ricains se masser sur Times Square pour fêter la mort de Ben Laden, j’ai le doute hyperbolique qui monte.

Les mecs que tu vois sur l’image, ils sont descendus dans la rue parce qu’ils ont entendu la nouvelle à la télé. Normal, ils sont nourris de télé. Nourris, abreuvés, gavés jusqu’à plus soif, plus faim, jusqu’à la gerbe. Ils fonctionnent avec la télé-réalité qu’ils ont inventée, les Experts Miami et les talk-shows de Mrs Winter. Autant dire qu’ils sont sous-informés, sous-éduqués, sous-corticalisés. Alors, s’ils sont contents, y’a du souci à se faire. On est pas dans la réflexion, on est dans la pavlovisation.

Nous aussi, on est contents. Enfin, nos télés sont contentes. C’est de la nouvelle, ça, coco ! On va faire des émissions spéciales, interroger les experts, bons au mauvais, l’essentiel, c’est de tenir l’antenne. Les experts, je les ai trouvés plutôt pas mauvais. Pas excessivement rassurants, je veux dire.

En gros, ils affirmaient que Ben Laden, c’était d’abord un symbole qui n’avait plus un grand rôle dans la conduite des opérations.. Possible. Pas certain, mais possible. Ceci dit, ça aggrave les risques de s’attaquer à un symbole. Ça va susciter des vocations de vengeurs. Si t’es malin, le symbole tu te le payes à la fin de la guerre. Hitler dans son bunker. C’est la cerise sur le gâteau. Faut avoir réglé les problèmes du réel pour s’occuper du virtuel sinon l’effet boomerang est pas très loin.

J’ai aussi vaguement vu un bonhomme (Karzaï, je crois) qui affirmait que les Américains étant venus en Afghanistan pour flinguer Ben Laden, maintenant que c’est fait, ils peuvent s’en aller. C’est assez juste comme remarque. Ça changera rien parce que Ben Laden était surtout un prétexte mais ça rend la position moins tenable. Pour nous aussi, faut dire. Les communicants, ils voient pas plus loin que le bout de leur nez. Quand on fait la guerre, c’est des raisons plus larges qu’il faut donner, du style « rétablir la laïcité ». Avec ça, tu peux rester un siècle en Afghanistan. Remarque, on va rester un siècle, parti comme c’est.

La grande question, ça reste : et les représailles ? Y’a du pour et du contre. Les otages, ça représente du blé, on les flingue pas comme ça. D’un autre côté, c’est du symbole. Et donc, quand certains se marrent, d’autres pètent de trouille. Logique.

Personne ne pose la question de la méthode. Ou de la finalité, c’est selon. Qu’est-ce qui était le plus important ? Flinguer Ben Laden ou dire qu’on a flingué Ben Laden ? Parce que c’est pas la même chose. On peut flinguer Ben Laden et ne rien dire. C’était ça la solution intelligente, la seule solution intelligente.

Imagine. En gros, l’opération, c’est la même. On peut imaginer plus simple ou plus discret, mais c’est pas nécessaire. Obama envoie les hélicos, les mecs flinguent, ramassent le corps et le balancent à la flotte. Fin de l’histoire.

Que peuvent faire les copains de Ben Laden ? Hurler que les Ricains l’ont retrouvé et flingué ? Ben non. Ils peuvent pas. Ils sont obligés de la boucler. Ils vont pas hurler à la face du monde que les Ricains ont été meilleurs qu’eux. Ça la fout mal. En plus, ils sont pas crédibles. Arthur, où t’as mis le corps ? Si Ben Laden est un symbole, leur intérêt est qu’il le reste, de laisser croire au monde entier qu’il est planqué quelque part. Voire de pipeauter une vidéo de temps en temps. Tout ça permet d’éviter des représailles alors que l’essentiel est fait.

Parce que, dans le même temps, les copains de Ben Laden, ils savent qu’ils sont vulnérables. Si les Ricains ont eu le chef, ils peuvent avoir les sous-chefs. La crainte change de camp. Vu que personne ne sait, personne ne demandera aux troupes de l’OTAN de quitter l’Afghanistan. On pouvait flinguer Ben Laden sans dommages collatéraux.

Oui, mais voilà. Les élections, c’est l’an prochain. Avec son truc médiatisé, Obama, il est sûr de repasser les doigts dans le nez. Plus personne ne va l’accuser de s’appeler Hussein. Il est devenu le vengeur du 11 septembre. Là aussi, ses conseillers en communication sont très cons. Ils ont 18 mois devant eux. Le cadavre de Ben Laden, ils pouvaient le sortir le 11 septembre 2012 (histoire de taper dans le gras du symbole) en disant : « OK, on l’a eu, ça n’a rien changé, preuve que le type pesait pas grand chose ». Et là, c’était trop tard pour les représailles et tout ce qui s’ensuit. Et ça dévalorisait totalement Ben Laden comme symbole.

La guerre ne fait pas trop bon ménage avec la com’. Dans la guerre, la discrétion est un atout. De toutes façons, ceux qui doivent savoir savent. Le grand public, les militaires, à juste titre, s’en tapent. Le grand public ne comprend rien à rien. Le grand public ne sait que ce qu’on veut bien lui dire et c’est bien suffisant.

Ho ! et la démocratie ? La démocratie, c’est pas que tout le monde sache. C’est que tout le monde sache avec les moyens d’analyser et de comprendre. Tant qu’on aura pas donné à tout un chacun les armes intellectuelles dont tout un chacun a besoin, on sera dans la manipulation. Taire la mort de Ben Laden eut été la meilleure stratégie, la plus économe de vies, la plus subtile. C’était un bon choix à tous points de vue. Sauf du point de vue électoral. En réalité, Obama se fout pas mal des représailles et des morts qu’elles peuvent entrainer. Il n’a pas le regard fixé sur la ligne bleue du Pamir mais sur les résultats des instituts de sondage.

Depuis le First Cav sautant sur Danang et prenant une dégelée, rien n’a changé, au contraire. Les communicants exposent de plus en plus les militaires et leur demandent des résultats visibles par tous, appréciables par tous. Dans les cercles des pouvoirs se joue le jeu éternel du chat et de la souris, chacun avec ses objectifs, objectifs le plus souvent incompatibles avec ceux du copain. Mais le pouvoir tranche selon ses objectifs à court terme. La guerre n’est plus qu’un spectacle.

Le problème, c’est que les morts ne viennent pas saluer quand tombe le rideau.

On en reparlera…

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