mardi 18 octobre 2011

BEAU COMME L’ANTIQUE

J’écoute Guaino. Guaino, c’est un communicant. Un homme des mots, pas un homme des faits. Il parle de corruption et, naturellement, il nie. Il s’envole, il enfile les exemples. Il fait défiler devant nos yeux la liste des accusés à tort.

Et là, il a le nom de trop. Salengro. C’est vrai qu’il a été accusé à tort, Salengro. Sauf qu’il a eu la dignité de tirer les conséquences de son pilori : il s’est suicidé. Que les accusations soient vraies ou fausses, celui qui en est l’objet est sali. Irrémédiablement. Ceux pour qui la dignité n’est pas un vain mot ne peuvent pas le supporter.

Le suicide a ceci de très fort : il renvoie l’accusateur a ses responsabilités. Si l’accusation était juste, le jeu est égal. Si elle était fausse, l’accusateur devenu délateur se retrouve dans la peau d’un meurtrier. Je pense aux meurtriers de Bérégovoy. Accessoirement, Salengro et Bérégovoy étaient des hommes de gauche. La dignité est-elle réservée à la gauche ?

Non. C’est un simple problème de génération. Une question d’éducation. Pour eux, le père fondateur de la gauche restait Robespierre, celui qui avait gagné le surnom d’Incorruptible. Il faut relire la biographie que Joël Schmidt a consacré à Robespierre. Joël Schmidt est un spécialiste de la civilisation gallo-romaine, pourquoi s’intéresser à l’Incorruptible ? Tout simplement parce qu’il voit dans l’action de Robespierre la main de l’Antiquité. Nourri des grands auteurs latins, baigné dans l’histoire antique, Robespierre avait transposé Rome dans la Révolution. Il cherchait la Vertu, la Vertu à tout prix, fût-ce le prix de la vie.

A cette aune, beaucoup de choses prennent du sens. Tout révolutionnaire qu’il était, Danton n’était pas vertueux. Luxurieux, paillard, homme de table et de vins, il n’avait pas la vertu qu’aimait Robespierre, celle de Regulus, de Coclès ou des Horaces. Robespierre rêvait d’une société ascétique, juste, probe, une société sans tâches. Une telle société ne pouvait pas être dirigée par des notables jouisseurs. Le goût de la jouissance entraine le besoin d’argent et son cortège de corruption, de prébendes et de compromissions.

Tout ça, on en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2011/02/nicolas-francois-et-ciceron.html). Mais il n’est pas mauvais d’y revenir, surtout quand nous y invite un conseiller du Président. Où sont les exemples de l’Antiquité face à ces hommes de pouvoir pris la main dans le sac du mensonge, de la délation, de la corruption ? Vautrés dans des délices volés au peuple ? Puisant dans les caisses à tout va ?

Tous ces politiques jouisseurs ont lu Onfray. Onfray s’autoproclame de gauche tout en prônant l’hédonisme. Onfray déteste Robespierre et Saint-Just qu’il renvoie dans son style inimitable dans « le monde de Thanatos ». Ben oui, la morale marche main dans la main avec la mort car la morale est répressive. Il n’est pas un être humain qui limitera spontanément son désir de jouissance. Sauf dans l’angélique monde d’Onfray où les hommes sont éduqués, raisonnables et responsables. Dans la vraie vie, ce n’est pas comme ça que ça marche. Qui a une Swatch désire une Rolex et qui a une Rolex désire une collection de Rolex. Dans tout homme, il y a un Berlusconi qui sommeille.

Robespierre est unanimement détesté car il cherche sans cesse à limiter le désir, à le casser, à la faire passer sous les fourches caudines de la morale. Il a des accents cléricaux, il remplace Dieu par la Raison et il offre à la Raison des sanctuaires et des cérémonies. Et il punit au nom de la Raison. La punition, personne n’aime. Surtout pas Onfray, bon élève et premier de la classe.

Deux phrases peuvent symboliser cet éternel combat. Celle de Saint-Just d’abord : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté ». Et celle de ce parlementaire de droite dans les années 1880 : « Je vous refuse la parole au nom de mes principes comme vous me l’auriez accordée au nom des vôtres ». J’ai trouvé quantité d’attributions dont aucune ne me satisfait.

Ces deux phrases semblent terrifiantes. Elles ne le sont pas. Elles posent le combat dans ce qu’il a de plus évident. Laisser libres ceux qui combattent contre la Liberté, c’est tout simplement mettre la Liberté en danger. Mais, bêlent les humanistes, c’est détruire le concept pour lequel on se bat. Oui. Mais c’est préserver les conséquences du concept. On ne se bat pas pour une idée mais pour l’application de cette idée. Sauf quand on est un universitaire satisfait dissertant de la Liberté devant un auditoire d’esclaves. Les marteaux brisent mieux les chaînes que les paroles. Mais les intellectuels n'utilisent pas le marteau.

La seconde phrase est la conséquence naturelle de l’oubli de la première. Laissez moi libre de supprimer votre liberté. Entre la droite et la gauche, il s’agit d’un combat, d’une lutte, d’une lutte des classes. L’humanisme a une limite, celle de son impuissance. Car l’humaniste est impuissant : il pose des cautères sur des jambes de bois. Il donne du riz frelaté plutôt que de permettre à chacun de se nourrir dignement. Et il a le mot de la fin : « C’est mieux que rien ».

Les deux phrases ci-dessus démontrent que Robespierre avait raison : il ne suffit pas de prêcher la Vertu. Il faut l’imposer. Par la force si nécessaire. Les citoyens le sentent confusément. La Loi est faible qui permet les dérives. L’impunité du Président Chirac choque mais elle n’est pas la seule. Certes, tout se fait dans le respect des mots : justice, démocratie. Mais l’impunité triomphe. On peut parler, on peut argutier, disserter, laisser la logorrhée envahir l’espace. Les conséquences des mots vont à l’encontre des mots. On peut puiser dans la caisse, on en sort impuni.

Les Romains affirmaient que la Roche Tarpéienne est proche du Capitole. Alors, on a comblé le fossé qui rendait mortelle la Roche Tarpéienne, la supprimant de facto. Que risque le corrompu ? Rien. Deux ans d’inéligibilité et une amende sans commune mesure avec ce qu’il a volé. Et donc, il s’en fout. Et moi, je me prends à rêver au bon docteur Guillotin. Et à Robespierre. Je me dis que si le risque était réel, la Morale s’en porterait mieux.

Mais, bêle t-on à l’envie, on risque aussi de condamner à tort. Certes. On me permettra de penser que c’est moindre mal. Qui se souvient de l’affaire Destrade ? Destrade transportait des valises garnies de billets par les représentants de la grande distribution qui désiraient obtenir des permis de construire pour leurs grandes surfaces. Destruction du petit commerce, destruction des marges des fournisseurs acculés à la pauvreté, destruction des paysages autour des grandes villes. Les conséquences sont lourdes. J’aime bien Jean-Pierre Destrade et j’aurais été désolé qu’il passe sous le couperet. Je ne peux m’empêcher de penser que si la sanction avait été plus lourde, il se serait mieux défendu. Peut-être même aurait-il refusé de faire le commissionnaire. Là, il a servi de bouc émissaire avec une punition somme toute légère quoiqu’il en ait souffert. Je ne peux m’empêcher de penser que si des vies avaient été en jeu, le mécanisme aurait moins bien fonctionné. L’impunité est la première cause de l’illégalité.

Robespierre, l’Incorruptible, est unanimement détesté. Je me suis laissé dire que le Maire de Paris avait refusé de lui consacrer une rue, lui qui a offert une place à Jean-Paul II. Un homme de gauche préfère honorer un prêtre qui a semé la mort en refusant le préservatif qu’un fondateur de la République laïque. L’anecdote en dit long.

Qu’en pense Onfray, l’athée hédoniste ? Je suis bien sûr qu’il saura renvoyer le Pape et l’Incorruptible dos à dos, bonnet blanc et blanc bonnet. Onfray se dit anarchiste. Doit-on lui rappeler que Bonnot est mort les armes à la main ?

Nous avons peur de la Mort que les Romains révéraient. Nous la fuyons quand ils la cherchaient.

Nous méprisons la Vertu que les Romains révéraient. Nous la fuyons quand ils la cherchaient.

On en reparlera….

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