vendredi 19 juillet 2013

PINARD ET GEOGRAPHIE


Bon, pour une fois que je prends mon pied à lire un livre sur le vin, j’ai envie de partager.. Ça s‘appelle La souche, la cuve et la bouteille, écrit par un Georges Guille-Escuret, que je rangerai volontiers au nombre de mes amis.

Le sujet, c’est le vignoble languedocien dans l’Histoire. En fait, ça s’interroge sur la place culturelle des vins du Languedoc dans l’ensemble français. Sur leur mauvaise réputation, le plus souvent. A tort ou à raison. Bien sûr qu’y en a de bons. Il n’en reste pas moins que quand tu dis Corbières, t’allumes pas les yeux comme quand tu prononces Aloxe-Corton.

Le mec, l’auteur, il se pose la question : le sol est bien, les cépages sont les mêmes, le climat va comme il faut. Pourquoi ?

Ben, c’est géopolitique, qu’est ce que vous croyez ? Le vignoble languedocien, isolé géographiquement, est beaucoup plus soumis aux aléas du marché et vit depuis des siècles dans l’urgence, avec des années où il faut faire pisser la vigne et des années où c’est catastrophique. Ainsi n’a t-il pas pu construire à long terme et donner une « plus-value culturelle » à ses vins.

Au départ, faut pas croire, les vins qui font saliver, ils sont méditerranéens. Dans le premier classement connu, au début du XIIIème siècle, on désigne le pape des vins (un vin de Chypre), un cardinal, trois rois, cinq comtes et douze pairs, rien que ça ! Tous méditerranéens comme le célèbre malvoisie. Y’a bon pour Béziers !!!

Ça change au XVIIème siècle. Le vin, faut le transporter. Et comme le plus gros consommateur, c’est Paris, prime à la Bourgogne. D’autant que les princes de Conti, ils ont des domaines là-bas, alors pour la promo à Versailles, ils sont bons. Et ils en rajoutent, comme quoi si t’es pas prince du sang, tu feras jamais que de la piquette. Tu sais ce que c’est : le roi boit du Romanée-Conti, alors les nobles imitent et les bourgeois imitent les nobles. Y’a aussi Lyon, grosse ville et même problème : Beaune est plus près que Narbonne, c’est de la biture endogène.

Consommateur n° 2, les Anglais. Ils viennent chercher le picrate en bateau, alors, Bordeaux, c’est quand même moins loin que Montpellier, t’as pas Gibraltar à te taper. Les Britons, ils veulent bien pousser jusqu’à Porto, mais faut pas se briser les voiles avec le mistral….

Et voilà comment, juste pour gagner sur le port, t’as deux régions qui se gavent. Les négociants, ils vont en Languedoc quand la récolte se passe mal ailleurs. Et comme le port est plus élevé, le client est plus exigeant, il a vite fait de trouver les défauts. Si tu payes plus, faut que ça soit meilleur.

Second point : Bourgogne et Bordelais appartiennent majoritairement à l’aristocratie et à la grande bourgeoise, des gens qui cherchent dans le vin un statut social qu’ils arrivent ensuite à vendre. Pas le Languedoc, dont l’aristocratie a été décimée par les multiples croisades. Au temps du Grand Roi, ça te fait du handicap culturel qui vient s’ajouter aux frais de port. Comme dit l’auteur « Faute de pouvoir participer aux enjeux politiques de la Nation, faute donc d’une fonction symbolique et diplomatique, le destin des vins languedociens tourna court ».

Au bout du bout, t’as le classement de 1855. Dans le Médoc, ça s’explique. Ça vient enfoncer le clou. Le mec de Fitou, il peut pas lutter. Toujours comme dit l’auteur « depuis le XVIIème siècle, les Montpelliérains ont pris l’habitude de répondre en termes de quantité : ils font tant de vin… A St-Émilion, on fait tel vin ». En d’autres termes, quand on a un vin prestigieux, on peut réduire la quantité, quand on a vraiment besoin de vendre, on fait du volume. Et ça fait trois siècles que ça dure amenant cette conclusion « les vins du Languedoc ont besoin de crises viticoles ».C'est vrai, ça. Quand t'es pas prince du sang, tu sors facile le drapeau rouge.

Bon, je vous le fais un peu à l’arrache, le livre est édité par la Maison des Sciences de l’Homme, ça reste du bon style académique. Mais l’analyse est impeccable et débouche pourtant sur un constat optimiste. C’est que les conditions géographiques ont changé : les frais de port pèsent moins sur le négoce. Mais aussi les conditions culturelles : la république permet à tous d’obtenir une légitimité culturelle. Sauf que ça prend du temps. Mais aussi les conditions économiques : les vignerons sont moins dans les mains du négoce.

Vous l’avez compris : on vous y parle peu de cépages, de goût de fruits rouges et toutes ces choses. C’est juste pour dire comment le vin, avant d’être un produit de consommation, est fils de conditions socio-culturelles, et les Cathares ont été plus importants que la syrah pour la production viticole languedocienne. C’est des trucs que tous les cavistes devraient savoir, il me semble, mais je vais encore me faire traiter d’arrogant.

C’est vrai que pour écrire un livre comme ça, faut beaucoup plus travailler que pour sortir le énième guide des vins de France. Et t’as pas intérêt à oublier la modération, ça nuit à la référence bibliographique. On n’a rien sans rien.

Moi, le pinard, c’est comme ça que je l‘aime, chargé d’histoire autant que de tanin. Oui, parce que j’aime les vins tanniques, les vins qui me disent le tonneau et les communions à la campagne, les vins lourds qui font la trogne embaumée, ceux qui vont chercher au fond de notre histoire. Le vin léger, il est léger en tout. Sauf en discursivité légère….

Tiens, un jour il faudra que je vous parle de Peyrache et de ma découverte des variances beaujolaises. C’était rue Monge et ça s’appelait Le Sarrans…. C’était pas un « bar à vins », juste un bar-tabac de proximité, normal…. Mais la cave du père Peyrache, je connais des patrons de "bar à vins" qui se damneraient pour la récupérer. Impossible. On l’a bue…

On en reparlera…,

1 commentaire:

  1. Intéressant, apparemment, au moins sur le cheminement historique, depuis la Croisade. Sur la période républicaine, le commentaire me semble en revanche un peu optimiste, ce vignoble continue de souffrir d'un immense déficit culturel que je vois guère se résorber. La masse est encore engluée dans un esprit de kolkhoze savamment entretenu par le clientélisme politique local.
    Je le lirai et on en reparlera.

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