lundi 29 juillet 2013

VOUS CONNAISSEZ LA DEHESA ?

Ça veut dire « pâturage » et donc il y en a partout. Mais quand c’est un nom propre et qu’on vous dit LA Dehesa, c’est entre Madrid et Salamanque.

Paysage de rêve, même et surtout au cœur de l’été, quand le soleil a sorti l’artillerie lourde. Pâturages secs, assourdis de chaleur, où les bêtes se pressent autour des chênes-liège recherchant une ombre aussi maigre que l’herbe jaunâtre. Le mot dit « pâturage » mais la première évocation qui monte au cerveau, c’est la savane arborée. Madrid reprend son origine berbère, l’Afrique toque à la porte.

En été, la chaleur est telle qu’on ne sent plus rien, je veux dire avec le nez (il faut parfois rappeler en notre époque de ressenti universel que le verbe sentir est d’abord celui du sens olfactif). Il importe d’attendre le crépuscule, la tombée de la nuit qui tombe toujours pour remplacer le jour dont on sent bien alors qu’il ne passera pas la nuit (ceci est une évocation qui fera sourire les lettrés modernes). C’est le moment où les bêtes sortent du couvert des arbres.

J’y étais pour admirer les toros de combat. C’est là, dans ces improbables sécheresses qu’ils viennent le mieux. Mais ils ne sont pas les seuls. La Dehesa, c’est aussi le royaume du porc ibérique, le rustique cochon, pas trop rose et souvent pie, pas trop gras non plus, qui s’élève tout seul dans ces terres désolées. C’est qu’il a à bouffer le verrat espingouin : pas trop d’herbe, mais plein d’autres trucs : des glands, beaucoup de glands, des faînes aussi, des champignons en saison, des charognes de gibier (oui, le cochon aime les charognes, c’est comme ça). Quand l’été est trop sec, on le « supplémente » un peu, mais pas trop. Au prix du kilo de cochon, on va pas se ruiner le budget avec des granulés.

Des fois, comme chez Victorino Martin, le cochon batifole au milieu des toros. Personne ne peut comprendre ma béatitude : mes deux animaux favoris, ensemble sous les chênes.

Et puis il y a la fin de l’automne. Les pâturages sont plus avenants, le cochon gambade à la fraiche. C’est que les musiciens sont là. La Dehesa est la principale zone d’hivernage des palombes et ça roucoule comme dans une réunion Meetic. Pas bêtes les oiseaux. Ils viennent de Pologne et des pays baltes, alors la température pour eux, c’est du nanan. Et puis, il y a les glands et les faînes. Vu que les pâturages ont reverdi et que les champignons sont là, les cochons, ils délaissent un peu le gland. De toutes façons, il y en a pour deux, vous affolez pas. Et les palombes, elles vont repasser dans les cols, entre Sare et Ahusky, grasses des glands de la Dehesa. Le salmis va être goûteux, vous pouvez me croire. (Je m’aperçois que je viens d’évoquer deux horreurs pour le bobo de base : le tir de la palombe et la corrida. On en a excommunié pour moins que ça.)

Toros, cochons, palombes, c’est le tiercé gagnant. Au cœur de l’Espagne, la Dehesa est un miracle d’équilibre écologique. Il n’y a pas beaucoup d’hommes, c’est peut-être pour ça. Les bêtes qui vivent là y sont depuis fort longtemps (j’ai failli parler de temps immémoriaux mais c’eut été mépriser le lecteur). Le gros cochon rose anglais ne peut pas vivre ici, le palmipède landais non plus. L’animal est un peu laissé à lui-même, le toro un peu moins parce qu’il coûte plus cher. C’est un bon truc ça : ne pas s’occuper des animaux pour qu’ils vivent mieux, on n’y pense jamais. L’animal sait fort bien s’engraisser lui-même et c’est terriblement rentable. Et terriblement bon quand ça vient sur la table (ou dans l’arène).

Le cochon du sud, il est pie. Pas rose. Ou alors rose sale. C’est pas un gros cochon anglais qu’est pas si cochon que ça, surtout en élevage industriel. Le cochon du sud (parce que le gascon ou le cochon basque sont dans la famille), c’est vraiment un cochon, le gros dégueulasse de Reiser. Il fouine partout, prend des bains de poussière et chie où ça lui chante. Et puis, il est pie. Imaginez : l’adjectif à double tranchant. Faire œuvre pie, ça vient de « pieux », au sens théologique du terme. Mon cochon n’a aucune piété. Il se vautre et s’acoquine, et fait du gras rien que pour moi. Remarque, autrefois, la cléricature, moines et chanoines, avait aussi la réputation de faire du gras.

Le cochon anglais, il a le gras triste du chanoine, style obésité de l’anglo-saxonne de base. C’est le genre de gras qui passe mal à la poêle, qui reste terne et suintant, pas le gras craquant qui me fait craquer. Si tu savais pas que le gras devient craquant à la cuisson, va falloir changer de fournisseur. Va dans la Dehesa mater les pourceaux, rien qu’à les voir tu imagines l’assiette.

Je n’ai aucun scrupule à parler de la Dehesa. Je peux même ajouter qu’on passe de délicieux moments dans de petits bistros de campagne devant un verre de tinto bien frais, à parler de tout et de rien. Surtout de rien, l’été fatigue. Le patron, il s’emmerde pas à faire des tapas. Si on demande, il amène une planche de charcutaille et trois olives fondantes. On baigne dans l’Espagne.

Je n’ai aucun scrupule à parler de la Dehesa, personne n’ira là-bas, quelle que soit ma faconde. La Dehesa est bonne pour les toros, les cochons, les palombes, point barre. Les moutons vont ailleurs.

On en reparlera…..

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