lundi 5 août 2013

BIBENDUM SE DÉGONFLE

Ben oui. Juste un chiffre. A la fin des années 70, le Guide Rouge se vendait à 800 000 exemplaires, peu ou prou. Aujourd’hui, il cartonne aux alentours de 200 000. C’est encore pas mal, mais la poule aux œufs d’or a perdu des plumes. 75% de plumes et, dans les affaires, quand tu perds des plumes, t’en fais pas un édredon. Ce serait même plutôt le contraire.

Ceci dit, on n’en a jamais autant parlé, on n’a jamais autant polémiqué et c’est ça qui me chatouille. Tout simplement parce qu’un des dogmes de la com’, c’est que plus on parle de toi, plus tu vends.

Ben non. La preuve. Et Michelin, plein de têtes d’œuf qui réfléchissent un max, s’évertue depuis vingt ans à stopper la glissade de ses ventes sans y parvenir. Pas faute d’essayer.

La dégringolade des ventes suit un étonnant parallèle avec la couverture media du Guide Rouge. Pas étonnant, en fait. Il y a trente ans, la lecture du Guide Rouge était une activité en soi, une sorte de hobby. Le lecteur se précipitait, dépouillait, s’étonnait, se fâchait, téléphonait à ses copains. Je rigole pas, j’ai connu. En librairie, avant même de passer à la caisse, ils se paluchaient la bible écarlate, vérifiaient les coins qu’ils connaissaient en parlant tout seuls.

C’est fini. Avant même la sortie de l’opus mirabilis, toute la presse s’empresse. On suppute, on imagine, on fait intervenir ses sources. Comment ? « Il » a perdu sa troisième étoile. Et pas que la presse nationale. Les quotidiens régionaux font leur page spéciale : « Michelin ce qui change dans notre région ». Ce qui change, c’est les étoiles, bien entendu. Car Michelin ne communique que sur les étoiles. Soit moins de 5% du contenu..

Pourquoi acheter un guide quand on sait déjà ce qu’il y a dedans ? Plus Michelin parle à la presse, plus ils livrent d’infos et moins le client a besoin du guide. Surtout qu’il est un peu sec alors que les papiers des journaux, avec réactions à chaud, photos et historique de la carrière du bonhomme, c’est vachement plus sexy. Et que pour avoir ça, la « vénérable institution » (c’est comme ça que causent les journalistes) a tendance à se laisser glisser. Finie la cuisine de notaire. Du coup, les notaires l’achètent plus. Forcément.

Je crois que les étoiles ont tué les ventes de Michelin. A force de focaliser sur elles, tout le monde a oublié que c’est un guide touristique à l’usage des automobilistes. Accessoirement gastronomique. Fut un temps, pas si lointain, où avec les étoiles, on t’indiquait l’adresse des concessionnaires de marques. Et on continue à noter les monuments remarquables. La bouffe, c’était la cerise sur le gâteau. T’avais fait tes trois cents kilomètres, tu faisais étape, alors autant bien se taper la cloche et dormir dans un bon hôtel si la guinde avait besoin de passer deux jours chez le concessionnaire.

La cerise est devenue le gâteau. On ne voit plus qu’elle, personne ne va voir si le cousin a obtenu son Bib gourmant ou sa fourchette. C’est déjà pas mal la fourchette, mais tout le monde s’en fout, surtout les journalistes. Sérieux, dans le Guide Rouge, y’a plein de restaus sans étoiles qui valent le coup. Mais ce message ne passe pas. Les médias veulent du people, du trois étoiles. On va pas mélanger la trentaine de top-chefs et le demi-millier de mecs tout juste capables de décrocher un macaron ! Alors la fourchette, même pas en rêve. Trop nombreuse, la piétaille. Dans les médias, on veut de la star, pas du figurant. A un détail près : dans les médias, on fait pas un papier pour aider Michelin à vendre, on fait un papier pour le vendre.

Peu à peu, l’image du Guide Rouge s’est dégradée. C’était un guide pour permettre aux VRP de bien dormir et de bien bouffer dans le cadre de leur budget C’est devenu une icône du luxe gastronomique à la française. Alors, forcément, quand tu causes à l’élite, le petit mec de base, il referme le guide, il se dit que c’est pas pour lui.

Je suis sûr que chez Michelin, il y a des mecs qui comptent avidement les recensions du guide, tout un service chargé de gérer l’image. Grands couillons ! Plus on parle de vous, moins on vous lit. D’ailleurs, Michelin a fait un site où il te file gratuitement les adresses que tu achetais avant. Y’a sûrement des millions de clics. Gratuits.

Il faudrait que quelqu’un leur rappelle ça : le monde de l’oral n’est pas le monde de l’écrit et plus tu causes, moins tu lis.

Bon, ils en avaient marre qu’on les voit comme des provinciaux ringards avec un stade prénommé Marcel. Ils ont fait moderne, ils ont créé Via Michelin et ont négligé leurs bonnes vieilles cartes au profit du GPS. Les journalistes ont adoré. Et Michelin a enquillé les échecs, a dépensé plein de sous et a vu ses ventes se déliter.

Je dis ça parce que j’aime bien Clermont-Ferrand.

On en reparlera…

2 commentaires:

  1. Pas vraiment d'accord avec vous.
    Vous critiquez le positionnement stratégique de Michelin, mais attention de ne pas tout confondre.

    Pour le site internet par exemple, vous imaginez bien que jamais un site ne fournirait autant d'informations sans avoir l'assurance d'être rétribué d'une façon ou d'une autre. Les restaurants qui y figurent peuevnt payer pour un pack visibilité (690€/an) et chaque réservation pris par l'intermédiaire du site rapporte à Bibbendum (forfait de 30€ pour 20 réservations).
    Le gratuit c'est pas vraiment son truc, avec au final une segmentation de son marché.
    Un public trèèèèèès large sur le net et beaucoup plus élitiste dans sa version papier.

    C'est un choix, reste à savoir si le lecteur parviendra à le comprendre...

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  2. le problème est là...sur le site, c'est que de la pub..qui n'est vendue que par la réputation du papier, papier qui se vend de plus en plus mal... que va t'il rester in fine? regardez le positionnement en édition... le temps fera le tri, mais les décideurs actuels seront à la retraite...

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