mardi 5 août 2014

LE SPECIALISTE

Plein d’amis se sont attristés de la disparition de Paul Jean-Ortiz, le conseiller diplomatique de Hollande. S’il est toujours triste de voir disparaître quelqu’un, on m’autorisera d’avoir un regard, disons, décalé.

Conseiller diplomatique à l’Elysée, c’est pas rien. C’est plus que Ministre des Affaires Etrangères qui sont souvent « étrangers aux affaires ». Du moins cette disparition m’aura t-elle donné le nom d’un homme qui me fit piquer quelques coups de sang.

Je ne parle pas des calamiteuses positions françaises en Syrie. Elles ne nous ont attiré que le ridicule de chausser les bottes d’Obama, bottes mal taillées, on en conviendra. Suivre la politique américaine au Moyen-Orient quand on voit les résultats en Irak et en Afghanistan, c’est pour le moins osé. J’admettrai volontiers que Monsieur Jean-Ortiz, face au poids financier de certains Etats de la région ne l’a pas fait, le poids.

Je ne lui ferai pas non plus porter le fardeau des positions en Ukraine. Je conviens qu’il ne pouvait à la fois lutter contre Poutine et la maladie qui l’a emporté.

Par contre, ce spécialiste de la Chine où il fut en poste, spécialiste au point qu’on a songé à lui donner l’ambassade de Pékin a laissé le Président faire une des boulettes les plus monumentales de son court pouvoir.

En avril 2013, François Hollande se rend en Chine pour une visite d’Etat. Il va y passer 36 heures ! La plus courte visite d’un chef d’Etat français dans l’Empire fleuri.. Alors qu’il a passé trois jours au Japon et aux USA. Pour les Chinois, sensibles à de tels signes, une visite aussi courte ressemble à un camouflet. Toute la presse (informée par l’Elysée) a insisté sur l’aspect économique de cette visite. Un peu comme si Hollande s’était dit que pour prendre du fric, il avait pas besoin de beaucoup plus de temps. C’est une position blessante. Et stupide. Il aurait pu en profiter pour faire un peu de tourisme intelligent. Faire un saut au Sichuan où la position française est ancienne et respectable. Il en aurait profité pour faire la bise à un de ces pandas auxquels il ressemble parfois.

Tout ceci Monsieur Jean-Ortiz devait le savoir. C’était à lui de convaincre le Président. Mais je me pose la question de l’amour de la Chine que tous les commentateurs lui prêtent. C’est qu’il fut l’organisateur de l’exfiltration des dissidents lors des incidents de Tiananmen en 1989. Peut-on être l’ami de la Chine et soutenir ceux qui en combattent le gouvernement ? Je me la pose d’autant plus que mon vieux Lao Pierre, Pierre Gentelle, alors directeur d’Aujourd’hui la Chine, journal des Amitiés Franco-Chinoises, avait aussi pris fait et cause pour la dissidence ce qui contredisait absolument son itinéraire. Nous en avons parlé, mais pour une fois, il fut fort peu loquace. C’est qu’il avait fait une erreur d’analyse. Ça arrive. Mais ça n’engageait que lui. Un diplomate engage la France. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

A l’Elysée, Monsieur Jean-Ortiz travaillait avec le secrétaire-adjoint de la Présidence, Nicolas Revel. Le nom ne vous dit rien ? Il porte comme nom le pseudonyme de son père, Jean-François Revel (de son vrai nom Jean-François Ricard). C’est donc le demi-frère de Matthieu Ricard, porte-parole du Dalaï-Lama. Coincidence ou connivence ?

C’est une vieille lune française : on peut être l’ami d’un pays sans être pour autant ami avec son gouvernement. Il suffit de prétendre être ami avec son peuple. Je l’entends tous les jours : j’aime la Chine, j’aime les Chinois, je n’aime pas le gouvernement chinois. Même si le peuple est globalement satisfait ? Même. Il suffit d’affirmer que le peuple est trompé et le tour est joué. On le voit, aucune discussion n’est plus possible.

Sauf que là, on est dans la rhétorique, acceptable pour les journalistes ou les politiciens de bistro. Ce ne peut pas être un fonctionnement diplomatique. Un diplomate, un gouvernement ne peuvent pas jouer ce jeu. Pour un Chef d’Etat, une relation cordiale avec un autre Chef d’Etat est le minimum qu’on puisse demander. Et aider son opposition n’est tout simplement pas acceptable.

Je ne peux que supposer que Paul Jean-Ortiz avait fait sienne la théorie du « devoir d’ingérence ». Il faut rappeler que c’est Léon Blum qui a théorisé le premier cette idée dans ses Mémoires. A propos de la guerre d’Espagne. La situation était alors assez claire puisque le gouvernement républicain espagnol était en butte aux attaques d’une rébellion factieuse. Le devoir d’ingérence consistait alors à soutenir un gouvernement ami (et légitime) contre une opposition non-légitime en apportant une aide non-officielle. C’était le temps où l’on distinguait soigneusement la diplomatie qui gère les rapports entre Etats et l’intervention dans une guerre civile. Blum disait simplement que, en cas de besoin, on pouvait intervenir dans les affaires intérieures d’un gouvernement ami, sortir du strict jeu diplomatique.

Moyennant quoi, les héritiers de Blum ont décidé qu’on pouvait intervenir dans les affaires intérieures de tout pays. L’idée est devenue généralement acceptée, soutenue par une propagande essentiellement basée sur la Seconde Guerre mondiale et largement appuyée par les Américains (Soljenitsyne par exemple). Et donc, on admire l’exfiltration des dissidents, l’accueil fait à Gao Xingjian, sans se demander si le travail d’un diplomate n’est pas avant tout de conserver de bonnes relations avec le pays où il est en poste.

Et donc, gardant la tête froide, je me demande si Mr Jean-Ortiz qui laisse organiser une visite au rabais et s’implique dans les affaires intérieures chinoises était un si bon diplomate. Ce serait au gouvernement chinois de le dire mais il n’en fera rien.

Je me demande aussi si l’attitude générale de l’oligarchie française n’est pas en lien direct avec la faiblesse de nos échanges commerciaux. Je me demande aussi comment tout ça fonctionne. En 2008, quand les manifestants anti-tibétains pourrissent le passage de la flamme olympique, la Ville de Paris ne manifeste pas un zèle excessif pour protéger le cortège. Le directeur de cabinet du Maire de Paris est alors un certain Nicolas Revel. Il a peut être eu peur qu’on tape sur son frère. Va savoir.

Mais tout le monde sait que je vois le mal partout.

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