J’ai retrouvé Sollers. Je suis environné de messages, de
textes qui me ramènent à Sollers quarante ans après Tel Quel. Ça revient de
loin, parfois. Ce jeune peintre qui me reçoit dans son atelier et me parle de
l’enseignement de Pleynet. Sollers est tapi dans un coin de la pièce.
Et donc, j’essaye de comprendre l’admiration ancienne et les
récentes réticences. Apparait alors une évidence. D’emblée, dès les temps
anciens, une méfiance géographique : Sollers est bordelais. Chez moi, le
Bordelais suscite l’inquiétude, plus que le Parisien, c’est l’envahisseur
mitoyen, celui dont on se méfie car il sait produire les signes qui
anesthésient la méfiance. Le Teuton a l’invasion franche et brutale, le
Bordelais est insidieux et amical.
Et Montaigne ? Fiché dans un coin de ma tête par
Bernard Croquette et Jean-Yves Pouilloux. A bien y songer, c’est pareil. Montaigne baigne dans la ruse.
C’est comme ça qu’il survit. Les Essais sont un manuel de survie en temps
difficiles.
A vingt ans, j’en avais l’intuition. J’aimais Monluc et
Brantôme, écrivains si proches de moi, s’intéressant aux vins lourds et aux
femmes légères. Et je dois avouer qu’assez vite, Blondin remplaça Sollers dans
mon panthéon littéraire. Il manque à Sollers, comme à Montaigne, comme à
Mauriac, la dimension excessive qui me ravit. Sauf en conformisme, discipline
où le Bordelais excelle.
Jeune, Sollers flirtait avec le maoïsme qui était une
révolte convenable, une révolte de Bordelais qui ne pouvait adhérer au marxisme
du PCF car le PCF menaçait le pouvoir bourgeois sur la banlieue bordelaise ce
que ne faisait pas le PC Chinois.
En politique, le Bordelais a inventé le jacobino-girondisme,
chimère intellectuelle qui mêle harmonieusement le meilleur du jacobinisme et
du girondisme. Il s’agit de se débarrasser du centralisme parisien et national
pour créer un centralisme bordelais et régional qui mettra l’Aquitaine aux
pieds de la métropole vinophile.
Ne nous y trompons pas, arriver à centraliser une région au profit d‘une
capitale géographiquement excentrée, c’est assez fort.
Relisant mon livre sur le Sud-Ouest après sa publication (et
donc plusieurs relectures) je m’aperçois que je n’ai pas consacré une seule
ligne à Bordeaux. Je m’en ouvre à quelques amis qui, tous, me rassurent :
Bordeaux n’avait rien à y faire. Je n’ai pas la place de dresser le catalogue
des bonnes (et mauvaises) raisons. Pour faire bref, l’Aquitaine (et la
Gascogne) est terre de ruralité assumée et orgueilleuse ce que n’est pas
Bordeaux qui se rêve seulement citadine et capitale. Le Bordelais n’aime pas
l’odeur du fumier ni le fumet des charniers.
Sollers est un excellent styliste, un peu bridé, un peu
convenu. Il écrit comme peignait Bouguereau, avec une langue où rien ne
dépasse, une langue gourmée qui plait aux notaires et aux assureurs, pour tout
dire, un style de gendre idéal. Je ne comprends pas qu’il ne soit pas à
l’Académie. C’est que sa vraie recherche porte sur la structure du récit qui
n’en est pas la langue et qui demande une attention plus soutenue. En fait,
l’Académie ne se trompe pas, elle sait ceux qui ont de la poudre dans leur
gibecière. Le Bordelais Sollers sait comment dissimuler la poudre. Comme
Montaigne. Peut être insuffisamment. Le livre a évolué.
Mais, de Brantome à Sollers, il y a une géopolitique des
lettres qui reste à comprendre et à étudier. Il y a certainement de l'Escarpit chez Sollers.
On en reparlera…
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