A la suite de mon dernier billet, on m’a violemment reproché
ce mot, jugé « péjoratif ». Hou la ! J’avais touché juste.
Soyons francs, je le savais. Mais enfin il ne s’agissait que de rappeler que
nous parlions d’un établissement d’enseignement privé, une sorte de Collège
Sainte Eulalie post bac. Sciences Po n’a pas de statut universitaire. C’est une
école « libre » et les enseignants n’y ont aucune obligation de
cursus ou de diplôme.
Je l’ai compris un soir, rue Sainte Anne. Mon hyperinculte
boss m’avait demandé d’organiser une soirée sur la Chine, sujet sur lequel j’ai
quelques lumières, et j’avais choisi comme intervenant Pierre, Pierre Gentelle,
mon vieux copain, l’un des meilleurs sinologues français. Quelques jours avant
la date, je suis informé, sans ménagement excessif, que le boss avait demandé à
JLD d‘assurer la soirée et que je devais décommander Pierre. Je m’étonne et il
m’est rétorqué que JLD, prof à Sciences Po, est beaucoup plus médiatique que
Gentelle. Médiatique, sûrement. Compétent, ça se discute. J’avais d’autres
copains sous la main : François Martin ou à l’opposé René Viénet. Jacques
Pimpaneau était à Lisbonne. Pour Marianne Bastid ou Marie-Claire Bergère, il
fallait un peu de temps. Il est exact qu’aucun de ces noms ne peut être associé
à une médiatisation. Et puis, quand Dieu ordonne…..
Voilà donc qu’en préalable à la conférence, je vais boire un
verre avec le Bouddha de la rue Saint Guillaume, histoire de rencontrer
l’homme. Pour entendre une démolition en règle de quelques uns de mes maitres
dont Jean Chesneaux. Une accumulation de sottises, de contre-vérités englobées
dans une écharpe dont la trame était
« Chesneaux était stalinien » ce qui permettait de ne pas
discuter l’essentiel, le travail sur la culture de la révolte ou la révolte des
Taipings. J’étais effondré de tant d’incompétence quand débarqua le patron de
presse qui avait décidé mon boss de choisir cette chose. Je dis patron de
presse, pour faire bien. Le mec dirigeait des journaux pour salle d’attente de
gastro-entérologues des quartiers chics Et il était un ancien élève de JLD..
La soirée fut insipide, d‘une banalité effrayante. Il n’y
avait rien à apprendre sur la Chine. Mais la potiche pontifiait et c’était
l’essentiel. J’avais beau ne pas me sentir responsable de cette déroute, je me
posais des questions. Comment était ce possible ? Il me parut évident que
le réseautage-copinage avait joué à plein : l’élève avait imposé son
maître dans un processus de valorisation réciproque dont j’étais obligé de convenir
qu’il aurait pu être mien.
Mais la question réelle était autre. Sciences Po est un
passage obligé vers l’ENA et je constatais que nos « élites » étaient
imbibées de savoir anorexique, voire boiteux, sur l’un de nos plus importants
partenaire/adversaire du moment. En clair, nos dirigeants ne pouvaient pas être
armés comme il convenait pour une discussion ou une négociation.
J’ai donc enquêté. J’ai de nombreux copains dont les enfants
fréquentaient l’établissement et il était facile de les interroger sur leurs
maîtres et l’enseignement dispensé. J’ai vite compris : la théorie est
outrageusement absente des filières. En communication, on leur parle à peine de
Saussure ou de Greimas. On glisse sur Bourdieu, on évoque Boudon parce qu’on ne
peut pas faire autrement. C’est l’exact opposé d’un travail universitaire.
Sciences Po est un collège technique valorisant le pragmatisme et l’efficacité
lorsqu’elle est escortée par la rapidité. Sans oublier le fameux esprit de
synthèse, lequel consiste à gommer les éléments gênants, ceux qui dépassent et freinent la
conclusion. Le doute, base de la réflexion, na pas sa place ici.
Tout ceci est à l’oeuvre dans la méthode Pépy. Voilà une
bonne vingtaine d’années que Guillaume Pépy est à la tête de la SNCF. Il a eu
l’opportunité de construire son équipe et on peut dire qu’il est entouré de
gens qu’il a choisi au fil du temps. Il a pu réaménager les gares et organiser
plannings et horaires. Moyennant quoi, les trains sont moins à l’heure qu’il y
a trente ans et Montparnasse est régulièrement bloquée par des pannes électriques
de grande ampleur. La principale solution de Pépy a consisté à créer une
cellule de communication de crise, non pas pour gérer les retards, mais pour
calmer les voyageurs avec des paroles lénifiantes. Les medias apprécient
l’effort de la SNCF et nul ne dit qu’un vrai succès serait de rendre inutile
cette communication dont la racine est le retard. Les mots justes sont bannis.
On ne dit pas que Pépy est un incapable (il n’y a plus de gens incapables, il y
a seulement des gens qui ne sont pas en capacité …), on dit que le Président a
lutté contre une malheureuse série de dysfonctionnements. Sans préciser que ces
dysfonctionnements naissent de ses décisions, ou des décisions prises par ceux
qu’il a choisis, ce qui revient au même. Il est vrai que ce n’est pas une
nouveauté. L’expression « accabler le lampiste » est une expression
ferroviaire visant à faire porter la responsabilité à qui n’en peut mais et n’a
pas les moyens de se défendre. Du moins Pépy respecte t’il la tradition.
Au fil du temps, la méthode sciencepotarde a consisté à
remplacer les choses par des mots, des mots soigneusement choisis pour gommer
les aspérités du réel et créer une doxa à laquelle le peuple peut adhérer. Ce
matin du printemps 2019, l’INSEE publie un bulletin où ses calculs statistiques
montrent que la crise des Gilets Jaunes n’a pas affecté la croissance et
l’économie françaises. A l’encontre des piaillements de la mediasphère qui veut
faire endosser au peuple les
résultats des décisions gouvernementales.
Idéologie pure. L’Histoire nous enseigne que les guerres,
les insurrections et les destructions sont un merveilleux tremplin économique
qui crée de la richesse et des emplois. Il faudra bien reconstruire le
Fouquet’s et les kiosques à journaux. Tous les samedis, les vitriers parisiens
aiment les Gilets Jaunes qui leur assurent un chiffre d‘affaires inespéré et
leur permettent de donner du travail à leurs employés. Les flammes à la télé,
c’est d’abord du PIB, comme est du PIB la maladie et même la mort (t’as vu le
prix d’un cercueil ?). Mais il ne faut pas le dire aux citoyens, désormais appelés "les gens" pour détruire leur existence politique.
C’est là qu’apparaît le biaisage par les mots. Sciences Po
enseigne les sciences politiques. La communication, l’économie, l’histoire et
la géographie n’existent que par le prisme du politique et deviennent des
outils de pouvoir et/ou de maintien au pouvoir. Des outils, une boite à outils,
un livre de recettes. Et si la recette n’est pas bonne, on vous la servira
malgré tout. Calons l'estomac.
On en reparlera…
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