J’aime bien Antoine George que je ne connais pas mais il est
de la race des voyageurs que j’aime, ceux qui labourent un terrain, toujours le
même, mois après mois, année après année pour apprendre, et donc aimer. Une
sorte de fils de Jean Malaurie ou de frère de Sylvain Tesson. Loin des zappeurs
de destinations qui sont des coureurs de lieux comme il y a des coureurs de
jupons. Je suis certain que lorsque nous nous rencontrerons, nous aurons des
amis en commun, Pierre Vernay, Jean Paul Duviols ou Etienne Moine.
Antoine, que je ne connais pas, me fait ce matin un
magnifique cadeau, il me fait cadeau d’un mot : démocrature. Nous vivons
en démocrature.
Nul besoin d‘explications, le mot contient sa
définition : la démocratie a été transformée en dictature par les
stipendiés du langage, les sciencepotards qui dominent outrageusement la
mediasphère et sont persuadés que les mots sont équivalents aux choses. Ceux
qui ne savent de Cocteau que le mot célèbre : Puisque ces mystères nous
dépassent, feignons d‘en être l’organisateur. Ceux qui feignent, feintent,
rusent pour mettre le réel sous le tapis comme une femme de chambre fait de la
poussière.
Quand le peuple
descend dans la rue pour crier son mal-être, la mediasphère aux revenus
opulents s’empresse de nier le réel et dégaine son mantra : nous sommes en
démocratie, laissons œuvrer le Président démocratiquement élu. La démocratie
devient une tunique couvrant les pires exactions, la destruction d’un modèle
social protecteur et une répression dont on n’avait pas vu d’équivalent depuis
Thiers conduisant les Versaillais à l’assaut de la Commune. La démocratie comme
armure de mots pour protéger la destruction d’une société qu’il convient de
« réformer » et personne ne dit que depuis Giscard, réformer est le
synonyme de détruire. Tous ont suivi, Mitterrand en tête, et Macron est
seulement le maçon qui pose le bouquet en haut de l’édifice. C’est le moment où
le peuple, en bas, voit l’œuvre achevée et s’exclame : « Mais c’est
pas ça qu’on voulait ».
Non. Mais vous avez, démocratiquement, accepté que l‘on
construise une chose qui ne vous convient pas car vous n’avez jamais vu
l’ensemble des plans que l’on s’est gardé de vous montrer. Nous sommes en
démocrature. Feintes, dissimulations, cachotteries pour faire accepter
l’inacceptable.
Et on entend, comme hier, un enseignant de Sciences Po (what
else ?) expliquer avec la componction d’un chanoine que les Gilets Jaunes
sont simplement le produit d’une « culture de la révolte », travers
bien français qui remonte à la Révolution, travers incompatible avec la
démocratie (Desmoulins, Danton, Marat, tous ces antidémocrates qui ont mis en
place notre démocratie !). Il ne va pas jusqu’au bout, le spécialiste. Il
n’a pas vu qu’une effigie présidentielle avait été décapitée ou que Lordon, fin styliste, écrit à Macron
qu’il « se repoudre la perruque ». Nous sommes en 1789. Raison pour
laquelle, toutes les comparaisons se font avec mai 68. La mediasphère préfère
les révoltes qui se terminent bien et préservent ses prébendes.
Le peuple croit la mediasphère qu’il ne connaît pas. Il ne
sait pas que certains ont travaillé et alerté sur les dangers que nous
courrions. Christohe Guilluy, par exemple, jamais invité par Yves Calvi. Ou
Frédéric Lordon. Ou un grand ancien, comme Raymond Boudon, qui explique
inlassablement que la prise de décision rationnelle est impossible. Vous
rigolez ? La mediasphère est là pour justifier la prise de décisions et sa
rationalité. Pas le contraire. Où va t’on si le peuple doute de ses
dirigeants ?
La mediasphère gomme soigneusement tout exemple contraire.
Personne n’a jamais dit, à ma connaissance, que la Chine avait bâti son succès
sur l’adoption-adaptation du modèle économique français conçu par le CNR
(primauté du politique sur l’économique, planification, nationalisation des
secteurs stratégiques) jusqu’au modèle de protection sociale (sécurité sociale,
retraites) qu’elle est en train de mettre en place. Ben oui ! Macron,
poussé par le Medef et Roux de Mesdeux, détruit le système que la première économie
du monde est en train d’adopter. On verra bien qui se trompe. Macron s’en
fout : sa retraite au Conseil constitutionnel est assurée. Mais nous
sommes en démocrature : il va nous parler de bien public, assurant sa retraite en détruisant celle de ses électeurs.
Le peuple n’est pas idiot. Il manque parfois d’un savoir
qu’on lui dissimule et qu’il remplace par l’intuition. La pauvreté rend
intuitif. En ce moment, son intuition lui souffle que la mediasphère le trompe,
lui bourre le mou, prend le parti de ses ennemis. Naturellement, il ne peut pas
le reprocher aux responsables, calfeutrés dans leur bureau protégé par les
services de sécurité. Et donc, il s’en prend aux journalistes de terrain
envoyés au carton par leurs hiérarques. Il viendra bien un moment où le peuple osera.
J’imagine : Bolloré, Bouygues, Niel, Drahi et quelques autres, réfugiés à
Coblence ou Baden-Baden par peur de la vindicte populaire.
Les spécialistes de la démocrature oublient toujours la
richesse et la complexité du sens car il faut synthétiser pour aller vite,
penser vite, décider vite. Ils se fixent généralement sur la connotation, la
partie du sens la plus généralement partagée, et oublient la dénotation qui est
la cheville attachant le sens à la réalité. Ils sont communicants, pas linguistes.
Ils ignorent donc que la réalité peut être dissimulée, mais
pas gommée, et qu’elle revient toujours, comme les boomerangs.
Et parfois, même, dans la gueule du lanceur.
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