vendredi 25 février 2011

UNE CARTE DE L'EUROPE

Tiens, tu sais quoi ? Tu vas dans un magasin de jouets. Ils font des trucs vachement bien pour les gosses. Par exemple des puzzles en bois qui sont des cartes dont chaque pièce est un pays. C’est pour apprendre la géographie aux enfants.

Si j’avais des sous, j’achèterais un lot et j’offrirais le modèle « Europe » à chaque député européen. Et si j’avais beaucoup de sous, j’offrirais ça à tous les fonctionnaires de Bruxelles. Le premier qui veut me mécener (c’est plus latin que sponsoriser, ça sonne bien je trouve) sera le bienvenu.

Tu prends le puzzle, tu le fais et après tu t’amuses. T’enlèves les pays, les uns après les autres. Un à la fois. Après, tu remets la pièce et t'en enlèves une autre. Qu'il ne manque qu'un seul pays. Et tout bêtement, tout simplement, tu vas constater un truc. Tu peux enlever à peu près tous les pays, ça reste l’Europe. Tous sauf un : la France. Quand t’enlèves la France, t’as un trou, une béance. L’Europe est morte. Amuse-toi. Tu verras. Le Liechtenstein ou la Slovénie, ça change rien. Même le Portugal. Si, le Portugal, ça change : en enlevant le Portugal, t’enlèves Barroso. Ça soulage….

La France n’est pas le cœur de l’Europe, c’est l’Europe. Enlèves la France et réfléchis. Comment tu vas d’Allemagne en Espagne ? Ou d’Angleterre en Italie ? Comment tu circules si t’enlèves le couloir rhodanien ? Comment il survit le budget européen sans notre contribution ? Et la balance agricole ? Parce que là aussi, on est moins bons qu’avant, c’est vrai, mais on reste indispensables. T’as pas besoin de lire des milliers de pages. Tu vas à Béhobie, tu montes vers le col de Kurleku et tu regardes les poids lourds. Tu verras des milliers de tonnes de trafic nord-sud. Bloque ce trafic et tu asphyxies l’Europe.

Ho ! Et l’Allemagne ? Regarde ta carte. Sans la France, l’Allemagne n’est plus rien qu’une puissance continentale sans accès vers les pays du Sud. Parce que l’accès au sud, c’est une obsession chez nos voisins teutons. Raison pour laquelle on s’est battus pendant des siècles. L’Allemagne est grande, mais l’Allemagne est froide. L’Allemagne n’a quasiment pas de façade maritime. La Grande Allemagne est plombée par sa géographie. Tu me crois pas ? Réfléchis. On a pu faire l’expérience en grandeur réelle. Tu prends une Allemagne tournée vers l’Est (l’ancienne RDA) et t’as une catastrophe économique. Ho ! c’est la faute au communisme. Ça, c’est ce qu’on t’a dit. Prends la liste des pays les plus pauvres du monde. Ils sont pratiquement tous enclavés. Un pays enclavé est un pays économiquement mort. Sauf s’il pratique le secret bancaire, mais c’est pas à la portée de tout le monde. La RDA, elle était enclavée. Pas de mer vu que la Baltique, c’est pas vraiment l’ouverture sur le grand large. Au sud, les Carpathes qui bloquent la voie. La seule ouverture, c’était la Pologne. Pas joyeux.

Ho ! et l’avion ? Avec l’avion, y’a plus de pays enclavés. Si. Le transport aérien, c’est cher. Tu peux l’utiliser pour des marchandises à forte valeur ajoutée. Pour les minerais et les grains, ça marche pas. Le haricot vert, oui, le maïs, non. Sans port, t’es mal. Vas voir les Boliviens, tu verras ce qu’ils te diront. Les Allemands, ils le savent. L’Europe leur a offert Rotterdam. Ho ! Ils avaient Hamburg. C’est pas pareil. Rotterdam, c’est la vallée du Rhin, Hamburg la vallée de l’Elbe, accès vers le Sud contre accès vers l’Est... Et Hamburg, comme beaucoup de vieux ports, il faut remonter l’embouchure de l’Elbe, c’est moins pratique. Tiens, un jour on fera un cours de géopolitique historique sur les ports.

Le vieux Général (avec une majuscule, y’en a qu’un), il connaissait la géographie. Il a offert aux Allemands le moyen de régler leur obsession. Pas à n’importe quel prix. Avec un équilibre. Un équilibre que ses successeurs ont rompu.

Mais alors ? Tu veux sortir de l’Europe ? Pas du tout. J’aimerais juste que les législateurs bruxellois comprennent que si c’est pas bon pour la France, c’est pas bon pour l’Europe. Qu’ils aient sur la tête une épée de Damoclès. Qu’on dise à Madame Merkel « tu nous emmerdes Angela, si tu continues tu garderas tes déchets ». Quel rapport ? Simple. Tu vas à Béhobie (voir ci-dessus) et tu verras passer les camions allemands de déchets. Les déchetteries teutonnes, elles sont en Espagne. C’est bien l’Espagne, c’est calcaire. C’est plein de trous et y’a pas trop d’habitants. Alors les déchets dangereux, on les envoie en Espagne. On verra plus tard.

J’aimerais juste que nos négociateurs soient de vrais négociateurs, des qui savent taper sur la table ou pratiquer la politique de la chaise vide. Des qui connaissent leurs forces autant que leurs faiblesses. Des qui oublient leurs faiblesses. Un négociateur qui admet les arguments de l’autre, il est foutu. Le vieux Général, quand il était pas content, il boycottait. Il s’enfermait dans le silence. Il avait lu Vigny. Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse.

Nos négociateurs, ils causent, ils causent. Ils ont peur du silence, ils ont peur de rompre le contact. On s’en fout. L’Europe a besoin de nous. Qu’elle cède. J’imagine ce qu’il aurait dit le vieux Général si on avait voulu mettre sur un pied d’égalité la France et la Lithuanie. Seulement, voilà : lui, il avait « une certaine idée de la France ». C’est arrogant ? Oui, et alors ? La lucidité n’est pas le mépris. C’est comme ça : on est au cœur de l’Europe, on a un climat idéal, des terres fertiles, une technologie au top et des travailleurs efficaces et productifs. En plus, on a les meilleurs pinards. C’est pas juste ? Non. Mais c’est comme ça. A prendre ou à laisser. Si t’en veux, tu cèdes.

On nous rebat les oreilles avec le « déclin français » et les Français qui ont pas le moral. Tu m’étonnes ! Les Français, on arrête pas de leur seriner qu’ils valent pas les Allemands, on les traite comme des Slovaques et on leur dit que l’immigration, c’est la richesse de la France. Comment tu veux qu’ils aient le moral ? Quand tu te fais traiter de nul à longueur de journée, tu finis par penser que tu es nul. Logique.

C’est juste une question de point de vue. Je sais pas si vous avez remarqué mais la taille du Président a un rôle à jouer. Quand t’es grand, tu vois loin. T’as pas besoin de t’agiter pour exhiber ta force parce que la force, c’est toujours tranquille. Et puis tu fais pas une montagne d’une taupinière. Les Ministres du G20, ils se sont réunis pour adopter des instruments statistiques communs. C’est une farce ! Les statistiques, elles sont étatiques, truquées, biaisées. Les Etats, ils disent ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent. Tu parles d’une avancée !

Remarque, c’est pas nouveau. Quand Disney a voulu installer son bouzin en Seine-et-Marne, il a crié à tous vents que Paris était en concurrence avec Barcelone. Et nos négociateurs lui ont filé plein d’avantages pour pas qu’il aille en Catalogne. Alors qu’il y avait pas photo. Disney, il savait bien que Paris est la première destination touristique d’Europe, que le Louvre et la Tour Eiffel lui garantissaient quelques milliers de visiteurs. Quand t’es Japonais et que tu fais un tour d’Europe, tu shuntes Barcelone, tu shuntes pas Paris. Mais nos négociateurs, ces cons, ils ont eu peur. Ils ont pas dit aux Ricains « OK, allez à Barcelone ». Je sais pas comment ils vivent leurs amours mais dire à une femme « j’hésite entre toi et ta voisine », c’est le meilleur moyen de prendre un râteau. Fallait filer un râteau aux Ricains vu qu'y avait aucune chance qu’ils aillent à Barcelone. Suffit de regarder le trafic aérien.

Suffit de… Suffit de regarder une carte. Mais pour regarder une carte, il faut que quelqu’un enseigne qu’il y a des cartes. Il faut croiser des murs avec des cartes. Il faut que quelqu’un t’apprenne à les lire. Il faut que quelqu’un t’apprenne à faire le lien avec le terrain. C’est pas très compliqué.

Suffit aussi de penser que le terrain, il a des choses à dire. Sur la vie des gens, sur l’organisation des groupes sociaux, sur la politique. Que les fleuves, les cols, les plateaux, c’est pas juste que des trucs à photographier mais que ça peut créer des liens, permettre des passages ou les barrer, c’est selon. Allez, juste un exemple. Les Bourbons qui ont régné sur la France, ils viennent du Bourbonnais. Regarde une carte : le Bourbonnais, c’est la parfaite voie de passage entre la Méditerranée et l’Ile-de-France quand les Habsbourg tiennent la Bourgogne. Les Capétiens, ils pouvaient pas se passer des Bourbons. Alors que je te donne des droits, que j’épouse tes filles, que je maintiens les liens à tout prix. C’était autrefois. Non. La Nationale 7 chantée par Trénet, elle passe par Moulins. Jusqu’à l’autoroute, il y a cinquante ans, Paris-Nice passait par Moulins. Les Bourbons, ils sont pas devenus rois par hasard mais par la géographie. S’ils avaient choisi les Habsbourg, la France n’existerait pas.

On en reparlera.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire