dimanche 27 février 2011

RESPONSABLE

C’est une notion qui a du plomb dans l’aile. La responsabilité. Comme dit le CNRTL, c’est « l’obligation faite à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle, des charges qu'elle doit assumer et d'en supporter toutes les conséquences ». Déjà, l’obligation, à une époque où on parle plus de droits que de devoirs, ça le fait pas trop. Etre obligé, ça va pas trop avec l’idée de liberté individuelle. Et puis supporter les conséquences, où qu’on va ? Surtout si on a des fonctions élevées. Quand t’es haut placé, les conséquences de tes actes, c’est pas toi qui les assumes, c’est le vulgum pecus. Pour faire simple, plus t’as de responsabilités, moins t’es reponsable.

Surtout qu’il faut répondre « de ses actes ». Est-ce qu’on choisit ? Est-ce qu’on agit librement ? Est-ce qu’on n’est pas un peu poussé ? Tu violes ta fille. C’est pas bien. Mais tu as été violé par ton père. Ah ! dit le psy, on reproduit. Ce faisant, il affirme que tes actes sont pas vraiment tes actes. Comment tu peux répondre d’un acte qu’on t’a mis dans le crâne ?

Tu rentres en fraude dans un pays. C’est pas bien. Mais tu crevais de faim chez toi. Ah ! dit l’assistante sociale, c’est une question de survie, il avait pas le choix. Comment tu peux répondre alors que tu n’avais pas le choix ?

C’est pareil pour tout. Celui qui viole les règles n’a pas le choix. Jusqu’au plus haut niveau. Fillon pouvait-il choisir de refuser l’invitation de Moubarak au risque de vexer un Chef d’Etat ami de la France ? Me dites pas que j’agglomère ou que c’est pas pareil. Y’a peut-être des nuances mais le fond du problème reste entier.

On l’a oublié, mais c’est une question métaphysique. On appelle ça la prédestination. Dieu a choisi ceux qui seront graciés et iront au Paradis. Ton destin est tracé jusques et y compris après ta mort. Si c’est Dieu qui décide…

En face, il y a le libre arbitre. C’est toi qui décides. Théologiquement dangereux vu que ça peut minimiser le rôle de Dieu. Pourquoi ne pas affirmer que Dieu étant le Créateur de tout, il est aussi le Créateur du Mal ? Pendant des siècles, les théologiens se sont battus sur ces notions, ont développé à peu près tous les arguments dans des œuvres parfois complexes et inaccessibles au croyant de base. Qui a lu St Augustin ou Thomas d’Aquin ?

La querelle a surtout opposé catholiques et protestants. C’était une question de fric. Les protestants supportaient pas la vente d’indulgences. Entre nous, les indulgences, c’était génial comme coup de fric, bien mieux que les OPVCM de nos traders. T’avais fait des conneries, tu allais voir ton évêque et tu lui achetais des années de Paradis.. Tu lui filais des écus d’or, il te filait un papier avec dix ans de Paradis garantis. Fallait au moins être évêque pour faire le papier. Les curés de campagne, ils étaient exclus du marché, ils aimaient pas. Ils protestaient. Calvin, il hurlait : « Sortez pas vos thunes, ça sert à rien, Dieu a déjà choisi ». OK, c’est un peu caricatural.

Un peu caricatural mais toujours d’actualité. Tout au long de l’Histoire, la querelle est sous-jacente. Les cathos te disent de bien te comporter si tu veux aller écouter les anges jouer de la harpe, les parpaillots affirment que si tu te comportes mal, c’est que Dieu t’a pas choisi. Pour les uns, t’as le choix, pour les autres, t’as pas vraiment le choix.

Après, on navigue à vue. Prenez les Américains. Majoritairement protestants mais acquis à la peine de mort. A quoi ça sert de flinguer un mec qui a pas eu le choix ? Ho ! t’as pas suivi. Si c’est Dieu qui décide, le mec il a pas été choisi par Dieu. Et donc, le passer à la chaise électrique, c’est suivre la volonté de Dieu. CQFD. Les cathos, c’est le contraire. Le mec, il peut s’amender en se comportant bien. Les parpaillots, ils croient tellement en l’éternité qu’ils filent 150 ans de prison à un octogénaire. Sûr qu’il accomplira pas sa peine.

Ça va loin. Prends notre nouvel ambassadeur en Tunisie, Boris Boillon. Il parle de Khadafi et il affirme : « Dans sa vie, on fait tous des erreurs et on a tous droit au rachat ». Il aurait pu dire « rédemption », « rachat », ça rappelle vachement les indulgences. Ça, c’est la position catho. Personne n’est mauvais tout le temps. Moi, je veux bien. Maintenant, va falloir en convaincre les Libyens. Pas sûr qu’ils adhèrent. En même temps, c’est normal : les Libyens, ils sont pas cathos comme Boillon.

Ça va loin. Prends la génétique. Le gène qui clique ou qui clique pas, ça te déresponsabilise. Si t’as la violence dans ton patrimoine génétique, tu cognes la mémé mais c’est pas vraiment ta faute. Si t’as pas le gène du cancer, tu peux fumer ta clope tranquille, tu risques rien. OK, je caricature. Mais ça reste sous-jacent, ce qui explique qu’on recherche des gènes improbables, style gène de la violence ou de l’homosexualité. Ça fait partie des thèmes récurrents de la grande presse. Alors, on fait des comités de bioéthique et des colloques pour savoir jusqu’où on peut aller trop loin. La recherche génétique est sous-tendue par cette opposition. Utilisez-la (l’opposition, pas la recherche) pour décoder les discours, vous verrez, ça marche.

Ça va loin parce que c’est politique. Il y eut dans les années 50, de sérieuses querelles à propos des jumeaux homozygotes. Les communistes ne supportaient pas l’idée qu’ils puissent être pareils, que leur environnement familial et social compte pour du beurre dans leur destin. Parce que la prédestination, ça colle pas bien avec l’idée que l’Homme puisse prendre son destin en mains. Notamment grâce à la grande Révolution prolétarienne. Par contre, ça va bien avec le libéralisme. Dieu nous a faits différents, raison pour laquelle il y a des riches et des pauvres.

Ça va loin, parce que c’est scientifique. Dans les années 70, les géographes, ils crachaient sur le finalisme. C’est un autre nom pour la prédestination. Les géographes de gauche, ils supportaient pas l’idée que le destin des hommes puisse être déterminé par le terrain C’est une position qui oubliait un peu la grande Révolution prolétarienne. D’ailleurs, la grande Révolution prolétarienne, le terrain, elle en faisait ce qu’elle voulait. Regarde le coton ouzbek et la Mer d’Aral. Refuser le finalisme, c’était refuser le capitalisme. On appelait même Max Weber à la rescousse.

L’Amérique a exporté la prédestination comme elle a exporté le Coca-Cola. C’est vachement subtil mais c’est bien réel. Avec la prédestination, la responsabilité se délite. C’est pas de ta faute. Pas de la mienne non plus. Mais nous, on a gardé le cul entre deux chaises, vu que, loin en dessous, on reste catho. L’Américain punit d’autant plus vigoureusement qu’il a le sentiment que c’est la volonté divine. Le chirurgien fait une connerie, on lui fait un procès parce que sa connerie, c’est Dieu qui l’a voulue et que la punition va dans le sens de Dieu. Nous, on croit à la rédemption qui va dans le sens du libre-arbitre.

C’est le sens profond de la querelle sur la récidive. Le catho te dit qu’après quinze ans de prison, t’es plus le même homme et que tu peux t’en sortir. Le parpaillot te dit que Dieu t’a fait comme ça et que t’es incorrigible vu que t’es pas responsable. Le pire, c’est de mêler les deux. D’accepter la non-responsabilité et d’y ajouter que tu es responsable de ton destin. C’est une position illisible parce qu’elle mélange les données temporelles. Personne ne peut admettre que la non-responsabilité se transformera en responsabilité avec le temps. C’est une position illisible parce qu’elle est doublement religieuse. T’es prédestiné au moment de l’acte, mais tu peux te corriger.

Ça sous-tend aussi tous nos discours sur la prison. La prison permet-elle de s’amender ? Sortira t-on meilleur de la punition ? Y’a ceux qui pensent que l’essentiel est de punir et ceux qui croient qu’on punit pour améliorer.

Les Lumières avaient recentré la question sur l’Homme : est-il mauvais ou pas ? Virer Dieu de la réflexion est la première chose à faire. Parce que, mauvais ou bon, l’Homme reste responsable dans la mesure où la société peut le corriger. Même mauvais, il reste libre d’accepter les correctifs sociaux. Ou de les refuser. Auquel cas, la société se défendra. C’est la problématique de Jean Valjean. La querelle ne se pose plus entre une interaction entre Dieu et l’Homme, mais entre l’Homme et la Société. Car le destin de l’Homme se joue dans un cadre social. Celui-là, on est sûr qu’il existe. Dieu, on peut toujours discuter…

Faut pas se gourer. Dans la tête, on a tous et toujours le grand Sauveur. La rémission des péchés, le mec qui découvre le chemin de Damas. Même moi. Un jour, je me suis fait nettoyer à Santo Toribio. Vous connaissez pas ? C’est le quatrième Lieu saint du catholicisme. Y’a Rome, Jerusalem, Santiago de Compostela et Santo Toribio. Y’a moins de monde, forcément, mais le service après-vente est le même, surtout les Années Saintes. Le Père abbé de Santo Toribio, il m’a filé son pardon total et intégral. Pour ça, il vaut autant que le Pape, sauf qu’il est plus accessible. Y’a pas de file d’attente. Je suis ressorti de là propre comme au jour de mon baptême. C’est lui qui me l’a dit. Sans déconner, ça m’a fait du bien. Pas longtemps. Juste le temps que je sorte du monastère et de son ambiance apaisante pour aller boire un coup au bistro du village. Le remords, ça peut être jouissif.

On a tous envie, peu ou prou, d’être le grand Sauveur. De pardonner, de comprendre, d’excuser. C’est vachement bien comme position. Mieux que bourreau. On a tous envie de croire qu’on peut s’amender, que l’autre peut s’amender, qu’un jour tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Mais, en attendant ce Grand Soir, on fait quoi ? Tu dis quoi au gamin qui sait qu’il vivra mieux en dealant qu’en bossant ?

Tu le mets face à ses responsabilités ? Et pourquoi pas ? Entre nous, pardonner, excuser, comprendre et expliquer, c’est vachement dévalorisant. Tout simplement, parce que c’est refuser à l’autre sa qualité d’homme. Libre et responsable. L’Homme seul, sans Dieu pour diriger ou pardonner. Pour excuser ou pardonner, il faut se sentir supérieur, investi, comme mon Père Abbé à qui Dieu a donné le pouvoir de me nettoyer, comme une assiette sale. Et si tu te sens supérieur, c’est que tu commences à mépriser. Non ?

Normal. Les religions méprisent l’Homme, pauvre merde entre les mains de Dieu.

On en reparlera….

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