mercredi 9 janvier 2019

SCIENCES PO ET LE BISTRO

Pour moi, le meilleur institut de sondage, c’est le bistro. Questions simples, réponses simples. Pas de langue de bois, même si, avec les heures, l’élocution devient pâteuse.

Après un long apéro, t’écoutes les débats entre spécialistes et tu rigoles. Parce que les réalités, tu les connais.

1/ Les Français sont racistes, antisémites, etc… Oui. Majoritairement. C’est pas bien, mais c’est comme ça. Trente ans de « pédagogie », d’indignations, de Licra, de touche pas à mon pote, n’ont rien changé. Personne n’a jamais gommé le temps où les lettres de dénonciation arrivaient par sacs à la Gestapo. Marine est la petite fille spirituelle de Pétain et elle séduit un électeur sur trois.
C’est que l’étranger, le pas pareil, c’est toujours un danger. On a amélioré le panel en stigmatisant les Asiatiques, en ajoutant le niaque au melon, au youpin et au mal blanchi.

Au bistro, ça se rassemble et les qualités admises deviennent des défauts. Sont pas fainéants, c’est bien vrai, mais c’est pour mieux nous manger. Les mots flottent dans le discours et tel chroniqueur préférant les amours orientales parle « d‘asiats ».

Personne ne veut dire que le « china bashing » si commode pour parler d’économie retombait sur toutes les minorités et pas seulement la communauté asiatique. Parce que le bistro est le lieu du « ouais, c’est comme… ». A Sciences Po, on discrimine, au bistro, on agglutine.

2/ Les Français ne font plus confiance à leurs représentants politiques. Oui. Majoritairement. Evidemment, l’exemple emblématique est le référendum de 2005. Tu votes contre, ça devient pour. Après un coup comme ça, tu peux ranger  toute la panoplie linguistique avec démocratie, choix électoral, etc… En un geste Sarko a dévalué toute une discursivité, il a gommé un gros bout du lexique politique traditionnel.

3/ Les Français sont sexistes, homophobes.. Oui. Majoritairement. C’est pas bien mais ça va avec le reste. Encore un peu de vocabulaire. A la télé, le mot qui tourne le plus c’est « enfumage » avec des déclinaisons comme « enfumé ». Au bistro, je ne l’entends jamais à l’opposé de son cousin moins flaccide « enculé ». Lui, c’est toutes les trois phrases. Il est devenu une bannière, un gonfanon, totalement décroché du réel car le plus souvent l’enculé est celui qui trompe. Clairement, l’enculeur est un enculé. Avec une telle récurrence linguistique, on ne peut pas attendre que l’homophobie recule. Mais on ne peut interdire les mots.

Jeune étudiant en sciences politiques, si, au cours d’un exposé, tu préfères « enfumé » à « enculé », change de voie : tu apprends à parler comme tes professeurs, pas comme tes électeurs. Tu aras ton diplôme, mais pas leurs voix.

Il nous manque une étude linguistique sérieuse. Entendu au bistro : « Par contre, X…, quand il fait rentrer Y…, c’est une énorme connerie ». Ce que nous traduirons par : « En revanche, le dernier changement de première ligne, fut une erreur de coaching. »

Il y a là un marqueur linguistique fort : « par contre » au zinc devient « en revanche » devant la caméra. Celui là est simple. Il y en a d‘autres : « pareil » devient « équivalent » ou « les sondés » se changent en « l’opinion ». Exemple : « Les sondés soutiennent le Président à 28% ». « Oui, l’opinion est en train de basculer ».

Quand on ne parle pas la même langue, la communication devient chaotique, d‘autant plus qu’elle sera chargée de connotations perçues négativement. Le phénomène est ancien. « Traverser la rue » répond à « manger de la brioche ».

Le peuple est très sensible aux écarts linguistiques. Johnny Halliday devait avoir quantité de surnoms Celui qui surnage, c’est « le taulier », fort peu artistique : le taulier, c’est l’homme qui tient les clefs du fonds de commerce, celui qui a le pouvoir. Ses fans préfèrent « taulier » à « boss » alors que le second sent plus les santiags et la route 66. Ils remettent Johnny à sa place de chef de clan prolo et bien français. Sa vraie place certainement, à leurs yeux, plus que Memphis.

Et je suppose que les conseillers du Président ont fait le choix inverse. Ils ont un boss pas un taulier.


Le grand débat, c’est pas gagné.

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