Pour moi, le meilleur institut de sondage, c’est le bistro.
Questions simples, réponses simples. Pas de langue de bois, même si, avec les
heures, l’élocution devient pâteuse.
Après un long apéro, t’écoutes les débats entre spécialistes
et tu rigoles. Parce que les réalités, tu les connais.
1/ Les Français sont racistes, antisémites, etc… Oui.
Majoritairement. C’est pas bien, mais c’est comme ça. Trente ans de
« pédagogie », d’indignations, de Licra, de touche pas à mon pote,
n’ont rien changé. Personne n’a jamais gommé le temps où les lettres de
dénonciation arrivaient par sacs à la Gestapo. Marine est la petite fille
spirituelle de Pétain et elle séduit un électeur sur trois.
C’est que l’étranger, le pas pareil, c’est toujours un
danger. On a amélioré le panel en stigmatisant les Asiatiques, en ajoutant le
niaque au melon, au youpin et au mal blanchi.
Au bistro, ça se rassemble et les qualités admises
deviennent des défauts. Sont pas fainéants, c’est bien vrai, mais c’est pour mieux
nous manger. Les mots flottent dans le discours et tel chroniqueur préférant
les amours orientales parle « d‘asiats ».
Personne ne veut dire que le « china bashing » si
commode pour parler d’économie retombait sur toutes les minorités et pas
seulement la communauté asiatique. Parce que le bistro est le lieu du
« ouais, c’est comme… ». A Sciences Po, on discrimine, au bistro, on
agglutine.
2/ Les Français ne font plus confiance à leurs représentants
politiques. Oui. Majoritairement. Evidemment, l’exemple emblématique est le
référendum de 2005. Tu votes contre, ça devient pour. Après un coup comme ça,
tu peux ranger toute la panoplie
linguistique avec démocratie, choix électoral, etc… En un geste Sarko a dévalué
toute une discursivité, il a gommé un gros bout du lexique politique
traditionnel.
3/ Les Français sont sexistes, homophobes.. Oui.
Majoritairement. C’est pas bien mais ça va avec le reste. Encore un peu de
vocabulaire. A la télé, le mot qui tourne le plus c’est « enfumage »
avec des déclinaisons comme « enfumé ». Au bistro, je ne l’entends
jamais à l’opposé de son cousin moins flaccide « enculé ». Lui, c’est
toutes les trois phrases. Il est devenu une bannière, un gonfanon, totalement
décroché du réel car le plus souvent l’enculé est celui qui trompe. Clairement,
l’enculeur est un enculé. Avec une telle récurrence linguistique, on ne peut
pas attendre que l’homophobie recule. Mais on ne peut interdire les mots.
Jeune étudiant en sciences politiques, si, au cours d’un
exposé, tu préfères « enfumé » à « enculé », change de
voie : tu apprends à parler comme tes professeurs, pas comme tes
électeurs. Tu aras ton diplôme, mais pas leurs voix.
Il nous manque une étude linguistique sérieuse. Entendu au
bistro : « Par contre, X…, quand il fait rentrer Y…, c’est une énorme
connerie ». Ce que nous traduirons par : « En revanche, le
dernier changement de première ligne, fut une erreur de coaching. »
Il y a là un marqueur linguistique fort : « par
contre » au zinc devient « en revanche » devant la caméra. Celui
là est simple. Il y en a d‘autres : « pareil » devient
« équivalent » ou « les sondés » se changent en
« l’opinion ». Exemple : « Les sondés soutiennent le
Président à 28% ». « Oui, l’opinion est en train de
basculer ».
Quand on ne parle pas la même langue, la communication
devient chaotique, d‘autant plus qu’elle sera chargée de connotations perçues
négativement. Le phénomène est ancien. « Traverser la rue » répond à
« manger de la brioche ».
Le peuple est très sensible aux écarts linguistiques. Johnny
Halliday devait avoir quantité de surnoms Celui qui surnage, c’est « le
taulier », fort peu artistique : le taulier, c’est l’homme qui tient
les clefs du fonds de commerce, celui qui a le pouvoir. Ses fans préfèrent
« taulier » à « boss » alors que le second sent plus les
santiags et la route 66. Ils remettent Johnny à sa place de chef de clan prolo
et bien français. Sa vraie place certainement, à leurs yeux, plus que Memphis.
Et je suppose que les conseillers du Président ont fait le
choix inverse. Ils ont un boss pas un taulier.
Le grand débat, c’est pas gagné.
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