mercredi 11 mars 2020

CEBROWSKI



Çui là, je le connaissais pas (merci Benoit) mais il vaut le coup. C’est une synthèse aurait dit Audiard.
Américain d’origine polonaise. Amiral. Carrière riche d’expériences, notamment au Viet Nam où il n’a rien appris. Chouchou de Bush père du fait de sa conduite brillante lors de la première guerre d’Irak. J’ai pas trouvé d’infos mais un amiral qui se conduit brillamment dans le désert, ça m’interpelle.  Sa spécialité étant l’aéronavale, je peux comprendre.

En 2001, Bush et Rumsfeld le nomment Directeur du Bureau Force Transformation dont l’objet est de définir la réorganisation de l’armée américaine pour faire face aux changements du monde et assurer la supériorité des militaires étatsuniens. Vingt ans après, force est de constater que c’est un échec. N’accablons pas Cebrowski. Il a simplement fonctionné comme un grand couillon de militaire obéissant.

Quand il prend ses fonctions, la vision stratégique des Américains est la recherche de la domination totale (Full Spectrum Dominance) sur une zone de guerre. Cebrowsky était au Viet Nam ; il est mieux placé que quiconque pour dire que c’est une connerie et que la domination totale peut conduire à la déroute totale. Mais pour ça, il faut s’opposer à tous les hauts gradés de l’Armée américaine. Cebrowsky n’a pas les couilles pour s’opposer.

La domination totale suppose que les Etats Unis contrôlent la totalité de l’information permettant de passer de la paix à la guerre ce qui leur donne un avantage stratégique quant à la distribution de leurs forces, leur armement et la précision de leurs frappes. Théoriquement parfait. La théorie est affinée au moyen d’outils développés par le monde des affaires. Il s’agit, dans un premier temps, de décrire le monde physique, de transférer la description au « monde de l’information » avant de transférer les données à un monde cognitif qui gérera l’action.

L’idée centrale est que la guerre est trop complexe pour être centralisée et que le pouvoir de décision doit être transféré aux unités « en limite » (on the edge) qui peuvent réagir rapidement et efficacement à la moindre sollicitation ce qui suppose l’aplatissement de la hiérarchie.

La théorie est belle mais elle oublie tout de l’environnement, même si quelques voix s’élèvent pour noter que le système GPS sur lequel elle se fonde a des lacunes. En fait, elle repose sur l’omnicapacité américaine de collecter toutes les informations. Dans les années 2000, la Chine n’a pas entamé son grand bond en avant informatique et Cebrowsky n’envisage pas un instant qu’elle puisse perturber la collecte des informations. Pire encore, rien n’est dit de la pertinence de cette collecte ; il est assumé que la langue de travail est l’anglais. Or, les USA sortent de Desert Storm ; en arrivant en  Afghanistan, l’armée américaine a réalisé qu’elle n’avait pas d’interprètes en pashtoun. C’est normal : le pashtoun est une langue rare et voilà des années que les orientalistes américains, pragmatiques, ont délaissé les langues rares qui ne rapportent pas de dollars. A monétiser la science, on s’expose à ce type de lacunes.

Vingt ans après, la modernisation de l’armée américaine a du plomb dans l’aile. Les USA ne sont plus seuls à pouvoir collecter et diffuser l’information : la 5G est chinoise et les langues rares triomphent. On l’a bien vu en Syrie où les opérations étaient outrageusement dominées par les Russes avec l’appui technologique de la Chine. Les choix de l’armée américaine obéissaient aux règles américaines : plus plutôt que mieux. Un haut gradé remarque que depuis Desert Storm les satellites ont multiplié par 30 leur capacité de transmission. Mais il ne tient pas compte de la possibilité d’une erreur (une donnée fausse par exemple) glissée dans le système, éventuellement par l'ennemi.. Aujourd’hui, les capacités des Chinois et des Russes rendent cette hypothèse crédible.

Personne ne veut voir que les rodomontades de Trump (sur la Mer de Chine, par exemple) ont drastiquement diminué. Les Américains ne savent pas réfléchir mais ils ne sont pas idiots. Ils savent que Cebrowsky s’est colossalement planté en oubliant que la technologie chinoise pouvait surpasser la technologie américaine. Il n’est pas le seul parce que, depuis vingt ans, la machine à décérébrer a fonctionné à plein. Tous les choix épistémologiques américains sont mauvais et le pays a plus investi dans Facebook que dans Lockheed ou Gruman. In fine, les USA ont les meilleurs réseaux sociaux du monde mais leurs chasseurs rament derrière les Chengdu ou les Sukhoi. La domination totale est morte. Et l’état actuel de la recherche-développement ne permet pas d’apercevoir une inflexion de la courbe : les actionnaires veulent des dividendes. Ils veulent aussi que leurs actifs soient protégés. Mais pour ça, c’est trop tard.



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