dimanche 22 mars 2020

LA BIBLIO

C’est un copain…un vieux. Il m’interpelle : « Pourquoi tu t’énerves ? Pour Raoult, t’es pas sûr ».

Si, je suis sûr. T’es biologiste ? Non. Mon métier, c’est libraire.  Ha ! Tu vois ! Ben non, couillon, c’est toi qui vois pas.

Libraire, t’apprends les livres. Tous les livres. C’est pas possible !!

Ben si. Il y a dix ans, quand un quelconque truc m’a informé sur Raoult, j’ai fait sa biblio. Réaction de libraire. T’as pas besoin d’y passer trois plombes ; Elsevier, Springer, Masson, c’est que du très lourd au niveau international. Le top du top de l’édition scientifique mondiale. Le mec qui a une telle biblio, t’es sûr qu’il est bon. Tu peux affiner avec les revues, mais en général, ça confirme. Raoult, y’a dix ans, il était déjà critiqué dans les revues de merde, celle que tu trouves dans les maisons de la presse, mais chez les scientifiques, approbation générale. En sciences, et ailleurs, l’approbation des pairs est un signe pertinent. Y’a des exceptions, mais on peut décrypter avec la biblio.

Faire la biblio est la première obligation, qu’il s’agisse d’un auteur ou d’un sujet. La biblio pose l’auteur au cœur de son sujet. Si Raoult avait publié Le coronavirus pour les nuls ; je serais méfiant. Méfiant mais pas négatif : First est un bon éditeur et pour de nombreux sujets (en langues par exemple) il a choisi les meilleurs auteurs possibles. Mais il peut y avoir des erreurs et un excellent auteur peut faire un mauvais livre, car le pire de First, c’est son public. Quand les canaux de vente privilégiés sont Internet et les supermarchés, le danger est grand de confondre vulgarisation et vulgarité. Il y avait a prendre la place de Que-Sais-Je ? et First a pris le premier segment, le plus facile. Mais QSJ s’appuyait sur son histoire qui manque à First.

Le fonctionnement actuel de l’édition est délétère. Ainsi de Philippe Picquier.  La naissance de l’entreprise, ce fut une divine surprise. Tous les jeunes orientalistes d’avenir étaient au catalogue et ont assuré un démarrage prometteur. Mais ensuite, il faut tenir et continuer. Picquier était contraint de publier pour conserver sa place Forcement, la qualité du départ n’est pas au rendez-vous, d’autant que la concurrence explosa. Picquier est rentré dans le rang. Non qu’il ait démérité. Il s’est un peu banalisé et on n’a pas tous les matins un Pimpaneau pour caracoler en tête.

Parallèlement, la qualité des libraires a baissé. J’ai découvert avec stupeur de jeunes libraires ignorant ce qu’est le Collège de France. Mais  ils connaissent les mangas !! Autant dire rien. Quand j’écoute Mourad Boudjellal, je pense à Gaston Gallimard et je pleure. Et oui, je suis snob, méprisant et arrogant et je vous emmerde.

Le libraire est un individu assis sur un univers de références. Il sait que la pensée, surtout scientifique, est un chassé-croisé universel, qu’une idée née à Paris a grandi à Yale et est revenue à Strasbourg en passant par Pékin. Il sait que le monde du livre est une pyramide inversée posée sur un seul ouvrage : la Bible de Gutenberg, analysée, commentée avant que les analystes et les commentateurs ne soient eux mêmes analysés et commentés et qu’il y a un lointain cousinage entre Raoult et Goscinny. Le libraire nage avec bonheur dans ce monde de références et le décrypte, jour après jour, sans jamais se lasser. S’il se lasse, ce n’est pas un libraire.

Tiens, revenons à Raoult. Sa bio affirme qu’il a passé un bac littéraire avant d’intégrer la fac de médecine. Rara avis. En son temps, pour faire médecine, la voie royale, c’était Math Elem ou Sciences Ex. Pour compléter son cursus, il lui a fallu ruser : le choix des pathologies émergentes le débarrassait de l’obligation statistique. A mes yeux, il est l’un des derniers représentants de l’épistémologie européenne classique, celle où un seul cas pertinent et bien analysé remplaçait une cohorte. Pour arriver à cette conclusion, inutile de connaître les rickettsies ou les nanovirus. Il faut et il suffit de comprendre la pensée. Pour ça, il y a la biblio et les catalogues.

La biblio !!! au temps d’Internet !! Mais oui. La biblio est la niche écologique du scientifique. Et Internet rend le travail aisé.

On en reparlera.



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