lundi 23 mars 2020

PIERRE, PHILIPPE, EMMANUEL

OK, je vais parler de moi. Depuis qu’Emmanuel m’a informé (et plutôt cinq fois qu’une) qu’on était en guerre, je ne cesse d’écouter ministres et conseillers, vraisemblablement munis d’éléments de langage, me causer de stratégie, de guerre et toutes ces choses qu’on prononce généralement avec un coup de menton volontaire. J’ai cherché de quels militaires que j’ai connus je pourrais bien vous parler et j’en ai choisi deux : Pierre Billotte et Philippe Erulin. Voilà vous avez compris, je vais me moquer.

Pierre Billotte, c’est lui qui m’a appris la politique ce qui explique que je n’en ai pas fait. En 40, il s’évade de son oflag, traverse l’Allemagne à pied et rejoint Moscou sans se faire prendre. Il devient copain avec Staline qui l’envoie rejoindre De Gaulle à Londres. Après deux ans, pensant qu’un militaire doit se battre, il demande à De Gaulle la permission de rejoindre Leclerc. Il débarque en Normandie  à la tête d’une colonne de la 2ème DB, libére un paquet de villes dont Alençon, participe à la Libération de Paris, puis devient député et maire de Créteil. C’est là que j’ai eu la chance de le connaître et de travailler avec lui et quelques uns de ses copains dont Lucien Neuwirth et Edgar Faure. ¨Période riche pour le morpion que j’étais. Billotte a passé sa vie à se fritter avec les Ricains. Il avait milité dans plein de mouvements atlantistes, son épouse était américaine, mais il enrageait que les Américains traitent sans cesse la France comme une colonie alors que lui exigeait la parité. Il les pensait comme les pires militaires du monde : « Vous savez, mon petit, après Caen, on pensait être à Paris en trois semaines. Trois mois après, on était encore à Caen ». Billotte était un gaulliste obsessionnel qui avait participé aux travaux du CNR, avec « une certaine idée de la France » comme on disait alors : le rôle de l’Etat est de protéger les citoyens. Lui, quand il parlait de guerre, il connaissait le sujet. Et quand il parlait de résister, ce n’état pas un vain mot. Pour la petite histoire il avait une belle collection d’armagnacs. Alors, quand j‘écoute Macron, je me gausse.

Je viens d’arriver dans le bureau de mon cher colonel M. et je déploie les trouvailles que j’ai rapportées de Tervueren. J’ai honte, c’est de la merde. L’officier en face, pas trop grand mais bien baraqué, je le connais pas mais son béret vert me dit la Légion. On nous a présenté, l’armée sait être civile. Je suis avec le colonel  Philippe Erulin. Je sais pourquoi nous sommes là : l’armée française va prendre Kolwezi et on m’a envoyé au Musée des Colonies de Tervueren compléter la documentation cartographique vu qu’on est un peu pauvres. J’ai quasi fait chou blanc. Deux plans merdeux de la ville dressés dans les années 1930, une carte des environs à l’aléatoire précision La bibliothécaire belge était désolée, mais moins que moi. Et alors là, leçon de géographie. Sur la table il y a une carte JOG au 1/250 000°. Erulin pose mes photocopies minables à côté et en moins de cinq minutes, il a pris la ville. Il a saisi les pentes, les points culminants à prendre ou à tenir, il a réparti ses hommes. Le colonel M., fin géographe, est aussi bluffé que moi. Philippe Erulin roule les documents et me serre la main, avec toute la délicatesse dont peut faire preuve un légionnaire : « Merci, c’est parfait, vous me préparez les cartes aériennes ». Quand j’ai écouté Macron, j’ai pensé à Erulin, évidemment, d’autant que lui, avait sauté à la tête de ses hommes. On est un chef ou pas. On est bon ou pas.

J’en ai connu d’autres des chefs de corps : dans les deux RPIMA, le 1er et le 3ème, au 1er RHP, au 13ème RDP, au 1er RCP, au Peloton de Haute Montagne…. Tous pareils. Des pros de la guerre, des mecs qui en parlaient pas mais qui savaient la faire.

Je sais pas bien l’expliquer, mais les hommes de guerre, les centurions comme disait Lartéguy, tu les reconnais d’emblée. Economie de gestes, économie de mots, précision en tout. Ce sont des hommes du réel qui ne médiatisent le réel que pour mieux l’appréhender mais qui ne confondent pas le réel et le virtuel, tout bonnement parce que le réel, pour eux, c’est la mort. Pour être un chef de guerre, et un chef tout court, il faut avoir une relation  forte à la mort et donc à l’humain.

A cet égard, Raoult est un chef ce que Macron n’est pas. Macron ne parle même pas comme un chef, il parle comme il croit que parlent les chefs. Il joue un rôle et ça saute aux yeux. Raoult, il dit : « Je suis médecin, je suis là pour guérir, pas pour administrer le maladie ». Le chercheur est dans l’action. Il donne envie de le suivre. Le Président est dans la parole : il fait rire.

J’y vois l’aboutissement d’un biais épistémologique, un de plus. L’administrateur sait que le droit commercial distingue soigneusement entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultats : si tu as fait tout ce que tu pouvais, on pardonne ton échec. Le chef a seulement une obligation de résultats. Il n’envisage même pas l’échec qui conduit à la retraite dans le meilleur des cas, à la mort le plus souvent. Sur un champ de bataille, le droit commercial n’a pas sa place. « J’ai fait tout ce que je pouvais » n’est pas recevable sauf à demander son emplacement. Il faut trouver quelqu’un qui a fait tout ce qu’il pouvait ET qui a gagné. Un autre que toi.

Discours inaudible aujourd’hui où triomphe le discours de l’excuse, ce discours que déteste le peuple. Discours trop éloigné du discours du stade. Virons l’entraineur. Le populisme n’est rien d’autre que le refus de l’excuse. L’Europe s’oppose ? Le Luxembourg, combien de divisions ?

Voilà pourquoi les populismes échouent. Ils sont trop confits dans le discours dominant et ont oublié l’obligation de résultats qui va parfois (souvent) avec un peu de rudesse. Les Français n’ont jamais oublié le sang contaminé et le « responsable mais pas coupable » qui colle aux fesses de Fabius. Il faut admettre que ça va de pair avec l’envie de lynchage. Ainsi va l’humain. Il préfère suivre les vainqueurs que les abandonnistes.

Le chef est responsable ET il peut s’accepter coupable car il y voit le doigt de la justice. Le populiste accepte le peloton,  y compris pout lui.


On en reparlera..

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