Il est bien oublié celui-là. Il a pourtant eu son heure de
gloire : il était le sculpteur favori de Hitler.
On peut gloser sur l’œuvre de Breker et lui refuser
l’étiquette d’art « nazi » au motif qu’il n’était que le représentant
allemand d’un courant qui regroupait des sculpteurs comme Despiau, Landowski ou
Belmondo, pour ne parler que des Français. Il se trouve que ce courant portait
les mêmes valeurs et, parmi celles-ci, la glorification du corps, de préférence
blanc et sculptural. Il se trouve que Breker bénéficiait du statut d’artiste
« officiel », apprécié par le Führer et par Albert Speer qui le
harcelait de commandes.
Breker prônait un retour au classicisme et aux valeurs
esthétiques de la Grèce antique. En Allemagne, ce n’était pas original. Mengs
en fit autant à la fin du XVIIIème siècle. La fascination allemande pour la
Grèce n’est pas une vraie nouveauté et Goethe lui-même, dans le second Faust,
introduit le personnage d’Hélène de Troie. L’importance de Breker vient de la
place qu’il prend dans un courant politique qui vise à la glorification de la
race, glorification qui ne trouve pas sa source dans les travaux intellectuels
mais uniquement dans la beauté des corps. A contrario, la propagande nazie
insiste sur les difformités des autres races. Pour la première fois, un régime
politique transforme le corps, sculptural, athlétique en icône et ce régime
politique est le nazisme.
Le culte du corps est une idée nazie.
L’idée n’était pas récente et elle cheminait depuis un
siècle : améliorer la santé humaine revient à améliorer la santé sociale.
Bien entendu, cette idée repose sur une image dévoyée, celle du corps. Il est à
noter d’ailleurs que nombre d’erreurs de jugement proviennent de cette image. A
considérer les villes comme des corps, les urbanistes ont cassé les sociétés et
les modes de vie. Il est exact qu’une artère (du corps) doit être large et non
bouchée et doit favoriser la circulation (du sang). Cela ne signifie pas qu’une
artère (une rue) doit être large et favoriser la circulation des automobiles.
L’image, la facilité littéraire conduisent à une réflexion qui n’en est que la
poursuite et reste une image, et non la réalité. Le corps est une chose, la
ville en est une autre.
De même, le corps social n’est pas le corps humain. Les
hygiénistes du XIXème siècle ont commencé par améliorer les conditions de vie
pour améliorer la condition de l’homme. Le mouvement fut général : en
Angleterre, James Cook invente le tourisme de masse pour détourner les ouvriers
de l’alcoolisme tandis qu’à Paris, le préfet Poubelle lutte contre les rats en
inventant la boite qui porte encore son nom. A tout cela, on ne peut que
souscrire.
Mais très vite, l’image prend le pas sur le réel. A la
propreté de la rue doit répondre la propreté du corps qui devient la marque de
la propreté de l’âme. Le mouvement s’accélère avec la vaccination : on
lutte contre la tuberculose comme on lutte contre la syphilis et lutter contre
la maladie devient une lutte contre les lieux de plaisir et la prostitution.
Les mesures techniques deviennent alors des mesures morales.
Les gouvernements y ont intérêt : une jeunesse saine fait les armées
solides. L’invention du sport par les Anglais vient couronner le tout et les
premières épreuves olympiques seront l’équitation, la course, les lancers et le
tir. Le sport prépare à la formation des soldats. On ressort la vieille formule
latine de Mens sana in corpore sano
que l’on détourne de son sens : tout le monde comprend qu’une âme saine
dépend d’un corps sain. Ce qui reste encore à prouver. Voir les sportifs de
haut niveau.
Le nazisme a été le point culminant de cette idéologie. En
glorifiant le corps, marque de la race, les nazis ont abouti à la dernière
étape : l’eugénisme. L’assimilation était complète : on nettoie la
nation de ses miasmes comme on se lave les pieds. Tout ce qui s’éloigne d’une
norme pré-établie doit être détruit. Les statues de Breker fixaient la norme.
Or, dès qu’on parle du corps, c’est la norme classique qui
s’applique, l’Apollon du Belvédère et les plaquettes de chocolat du discobole.
C’est valable aujourd’hui comme au temps de Breker. Il ne faut pas se moquer du
nazisme : il valorisait le corps comme nous le faisons, avec les mêmes
images, les mêmes arguments hygiénistes et moraux. Qui va en salle de gym est un
apprenti SS. D’ailleurs, je me suis laissé dire que les skins qui forment la
garde rapprochée de Marine aiment la musculation.
Valoriser le corps, c’est plonger dans une idéologie
douteuse. La devise du plus grand adversaire d’Hitler, Churchill, était bien
« No sport ». Chacun choisissait ses priorités.
Et donc, je me méfie des gens qui cultivent leurs corps. J’y
vois des relents d’homme parfait, des miasmes glauques qui préparent aux
défilés sanglants. C’est pas que j’aime pas la compétition. Par exemple, le
championnat du monde des mangeurs de boudin.
Il ne s’agit pas de revenir à Molière. Le corps, cette
guenille. Il suffit juste de dire qu’on a le corps de son ADN, de l’accepter et
de ne pas mélanger les notions. Ne pas répondre aux canons de la beauté, ce
n’est pas asocial. On est comme on est et ça n’a aucun sens moral particulier.
On en reparlera…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire