Quarante ans après. On renoue. Il fait partie de la liste
des cinquante auteurs qui m’ont le plus marqué. Pourquoi ?
J’ai vingt ans. Il présente sa vision de Montaigne. Et, dans
ce bijou, figure une analyse de l’image dans l’œuvre de Montaigne, une analyse
totalement contemporaine comme tous les Essais. Il explique comment Montaigne
utilise deux types d‘images, les déictiques (celles qui montrent) et les
apodéictiques (celles qui démontrent)..
Montaigne savait bien que leur nature est différente. Une
image déictique est un simple exemple qui n’engage pas la justesse du
raisonnement tandis qu’une image apodéictique vient remplacer tout ou partie du
raisonnement. Là est la différence essentielle, celle que nous touchons du
doigt chaque jour.
Montaigne pour comprendre les mass médias ? Bien
entendu. Quand il m’a expliqué Montaigne, de pseudo-centres de recherche
exposaient les travaux de pseudo-spécialistes, en général beaucoup plus longs
et beaucoup moins clairs que les mots de Montaigne. Parce que la philosophie,
c’est ça. Traiter une question sans qu’interviennent des contingences de temps,
d’époque, toutes choses qui peuvent éloigner l‘objet du sujet pensant.
J’ai déjà parlé, abondamment, de Diderot et de ses textes
sur le comédien. Il n’y a pas une virgule à changer (à Diderot, pas à moi). Le
plus souvent, on se gausse. Diderot, c’est vieux. Qu’est ce qu’il sait de
Vincent Cassel, hein ? Comme le reste, la pensée doit se couvrir des
oripeaux du modernisme.
J’en parle avec un jeune libraire dont je critique les
choix. Je lui explique qu’à la fin de sa carrière, il aura vendu beaucoup plus
de livres de Levi-Strauss que de X…. (nom laissé à la libre appréciation). Il
me prend pour un vieux con.. Son expérience lui enseigne que Levi-Strauss, ça
ne se vend pas. D’autant plus surement qu’il n’a pas un livre de l’auteur en
magasin. A la fin de sa carrière, il aura vendu beaucoup plus de Flaubert ou de
Balzac que de Marie Cardinal.
Le môme, il me regarde avec l’air malin de celui qui sait.
Mes trente ans de librairie, il s’en tape, ils me desservent vu qu’ils
m’enferment dans le monde des vieilles croutes. Je m’efforce, j’essaye, sans
espoir. Mon œil accroche un Asturias sur un présentoir. Je fais partie de la
génération de ceux qui ont suivi Caillois quand il créait la collection Croix
du Sud. Il n’y avait pas que Asturias. J’envoie un appât : Rosario
Castellanos ? Il ignore.. Il ignore aussi Guzman et quelques autres.
Je sens que je deviens chiant. Vieux et chiant. Et donc, je
m’énerve. Les Cahiers de l’Herne ? silence radio. La Table Ronde ? Je
ne vois pas une couverture. Je suis un vieux facho. Pour lui, la Table Ronde
c’est Tillinac. Ni Blondin, ni Haedens, ni même Anouilh.
Sale morveux ! Incapable de refaire le chemin qui part
d’Etienne Dolet et aboutit à toi. Ton histoire, c’est la mienne, l’histoire des
lettres françaises développées sur cinq siècles. Tu comprends pas ? Tu
n’imagines pas que Houellebecq, c’est comme toi, un aboutissement ?
Encore qu’en français, ce qui est abouti, c’est plutôt
positif. On peut en discuter. Depuis Gutenberg, livre après livre, auteur après
auteur, libraire après libraire, s’est construite cette merveille, la
littérature française.
Alors oui,
gourou de la littérature pour lecteurs de stéréotypes, maître des
élégances stylistiques, je vais te dire. Je n’ai lu qu’un seul livre de ce Marc
Lévy que tu abhores. Et dans ce livre, soudain, m’est apparu un vers de
Prévert. Ce vers, cette citation, me disait que Marc Lévy et moi étions enfants
de notre littérature commune, que nous avions à partager.
Avec toi, lecteur anorexique, je n’ai rien à partager.
Continue à aimer ce qu’aime la foule. Pour l’avoir refusé, Dolet a été brûlé.
Un libraire a de la vergogne. Sauf chez Leclerc. Et quand je
dis « vergogne », au sud de la Garonne, c’est une référence. Une
référence à Rosse tant.
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