Facebook sert au moins à ça. Nico m’annonce le décès de
Jean-Pierre Picon. Une porte se ferme sur mon passé et sur votre avenir.
Jean-Pierre a révolutionné le voyage. Vraiment. C’est pas
une clause de style. Nous vivions à la botte des grands groupes d‘industriels
du transport d‘humains quand il a créé Explorator. Comme toutes les grandes
idées, elle était géniale de simplicité. De petits groupes de voyageurs pour ne
pas déséquilibrer les contrées visitées, des destinations difficiles d’accès
mais à la richesse culturelle évidente, des accompagnateurs connaissant
parfaitement le terrain pour assurer une logistique toujours défaillante. Pour
faire simple, des voyages pour ceux qui ne voulaient pas voir le monde comme
des valises sans poignées. Tout était à inventer. Et donc, il a tout inventé.
Et il a passé sa vie à ouvrir des lieux à ceux qui n’auraient pas pu le faire
sans lui.
Explorator regroupait alors les meilleurs. Jean Pierre était
allé chercher des types comme Jean Sudriez, guide indépendant sur le Sahara,
connu de quelques passionnés seulement. Tout le monde passait rue Cambacérès
avec ses envies, son savoir, son enthousiasme. Tout le monde. Ils ont tous été
des collaborateurs d’Explorator, Hervé et Daniel, l’autre Hervé, Jean-Marc,
Patrick, Nicolas, Michel, Didier. La liste est longue.
Un gestionnaire imbécile m’a dit une fois : ils ont
tous copié Explorator. Non. Jean-Pierre n’a pas eu de plagiaires mais il a eu
des disciples. Et c’est vrai que du moule qu’il a fondu sont sortis les
créateurs de tout ce qui compte aujourd’hui dans le monde du voyage d’aventure.
Je vous épargne les noms. Ce serait trop long. Et ils ont essaimés partout.
En ce temps, il n’y avait pas de catégorie « Voyage
d‘aventure » dans les statistiques car le nombre de pax était ridiculement
faible. Et les voyageurs étaient ridiculement passionnés. J’étais leur
libraire, Jean-Pierre avait insisté. Les clients d’Explorator, je les
connaissais tous. Ils sortaient de chez moi chargés de livres et de cartes,
plusieurs semaines avant de prendre l’avion. C’était le temps où on préparait
un voyage avec sérieux et passion. Oui, on consommait déjà du voyage, il serait
stupide de le nier. Comme on consommait des repas. Soit chez Bocuse, soit chez
Jacques Borel. Et Jean-Pierre, bon Médocain, avait choisi son camp.
J’ai connu les « séguillous » de Jean-Pierre.
C’est un mot occitan qui désigne les suceurs de roues, comme disent les
cyclistes. Pas les disciples, ni les plagiaires, deux catégories qui supposent
qu’on ait étudié le modèle avant de l’imiter. Ceux qui copient ce qu’ils
comprennent, c’est à dire rien. Le maquillage. Ceux qui pensent que botoxer,
c’est inventer la beauté. Ils n’ont jamais compris le mépris que je cachais
peu. Je regardais leur entourage, je pensais à ceux qui entouraient
Jean-Pierre. La messe était dite. J’ai parlé des disciples. Il n’y avait pas de
courtisans.
Je me demande ce qu’est devenu Vincent, l’associé discret,
l’homme des comptes qui servait de rempart à Jean-Pierre. Il a eu sa part, sa
part d‘ombre indispensable à leur réussite. Nico est toujours dans le radar.
Sophie doit être triste. Comme
tous ceux pour qui Jean-Pierre a compté.
Les séguillous vont rendre hommage. On va pouvoir rigoler en
ces temps de tristesse. Ce sera son dernier cadeau
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