mercredi 3 avril 2019

ESPRIT DE CHAMBRÉE

C’est une simple forme d’humour. Pas très drôle pour certains, jamais d’une absolue finesse, mais assez commune. L’artiste qui le représente le mieux reste Jean-Marie Bigard. Lequel devient, de ce fait, un marqueur culturel essentiel.

On l’appelle ainsi car il s’est longtemps développé dans un biotope spécial, le dortoir des casernes. On aurait pu penser que la suppression du service militaire lui serait fatal. Il a simplement changé de biotope, investissant les vestiaires sportifs à la population très ressemblante.

L’esprit de chambrée est essentiellement masculin et collectif. Il apparaît à la puberté chez les jeunes mâles. Selon certains auteurs, il structure leur vision du monde, ce qui est largement exagéré car cette assertion suppose qu’existe dans les vestiaires une vision du monde.

Comme tout ce qui est populaire et largement répandu, l’esprit de chambrée est essentiellement binaire. Comme l’ordinateur, ce qui tend également à démontrer son modernisme. Ses manifestations les plus visibles sont d’ordre sexuel. Comme en informatique où le joystick est, dans les pays anglo-saxons, l’un des surnoms du pénis en érection. Il est évident qu’un langage qui se met en place à la puberté ne saurait être disjoint de l’érection, signe cardinal d’un fonctionnement satisfaisant de l’appareil uro-génital. L’esprit de chambrée est un langage normatif pour les jeunes mâles.

Binaire, sexualisé, l’esprit de chambrée a comme premier rôle de décrire le monde du sexe auquel ses locuteurs avaient peu d’accès avant son apparition.

Les individus mâles sont donc classés en deux catégories : les hommes et les pédés. Catégories à visée téléologique puisqu’elles supposent primitivement la définition du partenaire sexuel.

Les individus femelles appartiennent également à deux catégories, les vierges et les putes, également connotées téléologiquement, celles qu’on peut utiliser et les autres. En grandissant les locuteurs définissent une autre catégorie, les goudous, que l’on range dans la case des salopes qu’on ne peut pas utiliser, sauf à disposer d’une expertise qui ne correspond pas à l’âge tendre des locuteurs.

L’esprit de chambrée correspond donc à l’invention d’un vocabulaire adapté à une sexualité qui se crée. C’est un langage d‘apprentissage.

En tant que tel, il a une visée normative, définissant les partenaires sexuels conduisant « normalement » à l’orgasme, mais son efficacité temporelle est limitée, tout apprentissage ayant une fin prévisible. Toutefois, on ne peut lui nier une valeur intégrative, car il conduit à intégrer un groupe partageant les mêmes valeurs, groupe qui réunit généralement la majorité des individus ce qui permet de définir l’esprit de chambrée comme un instrument de mesure de la démocratie. Il ne peut en aller autrement, il est né de la conscription et de l’égalité formelle qui régit la vie en caserne. Ceux qui n’adhèrent pas, comme toute minorité, se mettent à part. Vae victis. Ils deviennent gibier de psys, individus à normaliser d’urgence.

Cependant l’esprit de chambrée, par glissements successifs est devenu objet judiciaire. Pour le dire simplement, exprimer une opinion majoritaire peut conduire devant les tribunaux lesquels existent pour punir essentiellement les dérives de comportement qui mettent en péril  la majorité.

Ainsi va t’on assigner un groupe de gamins braillant dans un autobus que le Président d’un club adversaire, et donc détesté, est « un pédé ». S’agit il d’une diffamation ? d’une injure ? Non. On ne parle pas d‘Oscar Wilde lequel avait du moins la courtoisie et la dignité d‘afficher, et non de cacher ses préférences sexuelles. Quel danger pour la société ? Comment justifier la saisine ? Dix mômes braillant des sottises mettent ils en péril l’édifice social ?

On le dit. De nouveaux délits ont été créés de toute pièce qui tournent autour du pêché de stigmatisation. Et, à nouveau, le délit est  à géométrie variable. L’islamophobie punit la stigmatisation d’une religion mais il n’existe ni christianophobie, ni bouddhophobie. Sexuellement, l’homophobie est un délit, comme la pédophilie ou la zoophilie, mais la masturbation n’est point délictueuse.

On en a déjà parlé. La loi préserve certaines minorités de la dictature de la majorité qu’elle organise par ailleurs. Car la démocratie, c’est ça : le gouvernement de la majorité. Et dans notre pays, la majorité est blanche, chrétienne et hétérosexuelle. C’est un fait. Dire que c’est pas bien, c’est une opinion.

L’esprit de chambrée n’est rien d‘autre que l’expression, parfois brutale, de la pensée majoritaire. De ce fait, il ne peut disparaître et il change de  biotope pour survivre. C’est un rite de passage comme la chasse au lion à l’arc chez les Songhais, rite que les lions aimeraient bien voir disparaître. Les rites de passage sont liés à la puberté, c’est à dire à la sexualité. Les jeunes gens n’ont pas fini de concourir à qui a la plus grande car la taille du pénis, à tort ou à raison, est perçue comme un avantage évolutif.

Il faut nous méfier : détruire les rites de passage revient souvent à détruire la cohésion sociale, laquelle peut parfois s’exprimer par la loi de Lynch. Les chansons paillardes, les plaisanteries graveleuses sont un exutoire au premier degré. A les interdire le risque principal est de les voir changer de nature. La ratonnade remplacera aisément la vanne islamophobe.

Le Droit enregistre les changements sociaux. Il n’a pas vocation à les créer ni même à les susciter.

Ce n’est pas son oeuvre théologique qui a fait passer le Cardinal Dupanloup à la postérité.

On en reparlera …


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