J’ai rencontré Caroline Mecary voici cinq ou six ans. Je
devais l’interviewer et j’avais aimé sa hargne, sa détermination, la manière
dont elle parlait de ses clients. On était dans l’oralité, elle est avocate,
autant dire qu’on était sur son territoire.
Depuis, nous sommes revenus dans la norme, c’est à dire
l’écrit qui fonde la Loi et où je suis plus à l’aise car je suis un mec plutôt
lent. J’ai besoin de mâchouiller les mots, de chercher, de relire. A la lire,
j’ai souvent été pris de malaise, car je ne comprenais pas.
La spécialité de Maître Mecary, c’est la filiation et plus
particulièrement la filiation homosexuelle, PMA et GPA. Elle passe ses journées
à étudier des affaires bien compliquées avec des clients qui se disputent des
enfants et une loi pas nécessairement adaptée. Forcément. Ce vieux con de
législateur antique n’avait jamais pensé qu’une relation homosexuelle
permettait la procréation. Je peux comprendre : quand Napo fait rédiger le
Code civil, si les juristes lui avaient dit que deux lesbiennes pouvaient être
mères, il se seraient retrouvés procureurs à Plougastel-Daoulas ou
Mauléon-Licharre. C’est pas si vieux : au lycée, mon vieux prof de
sciences nat, quand il terminait son cours de biologie de la sexualité
déclarait en souriant: « Pour faire un enfant, il faut des gamètes males
et des gamètes femelles. Le même sexe, ça ne marche pas, mais l’expérimentation
continue… » provoquant une vague de rires.
OK, la science avance, il faut adapter le droit. Phrase un
peu imbécile car ce n‘est pas la science qui avance mais la technologie.
Adaptons donc. Mais adaptons complètement, par exemple en inscrivant dans la
loi que la biologie est régie par l’évolution et pas par la création ce qui
serait un moyen efficace de virer Dieu de la discussion. Rigolez pas : aux
USA, évolutionnisme et créationnisme sont équivalents dans plein d’Etats. Et je
ne suis pas certain que Dieu ne revienne pas dans le jeu, sous l’influence de
la charia, par exemple. Ou de la Manif pour tous qui en est fort capable.
Adaptons le droit. Finissons de virer Rousseau de nos
neurones. Depuis le temps qu’il nous pourrit la vie….. Vous ne me croyez
pas ? Rousseau a inventé une stupidité majuscule qui s’appelle le
« contrat social ». Selon Rousseau, ce contrat nait de la volonté
collective des individus qui s’impose comme loi. Ben, c’est bien !!! Non.
S’imposer comme loi, ce n’est pas être la Loi. Car le contrat devient loi pour
ceux qui y adhèrent, mais pas pour les autres, alors que la Loi s’impose à
tous. Je chipote pas.
L’exemple le plus évident est celui des accords par entreprises.
Soit une convention collective qui s’impose à tous les salariés d’une branche,
un accord d’entreprise peut s’appliquer à sa place. Cet accord peut être
meilleur….ou pas. Ce peut être une régression choisie par les salariés pour
préserver une usine, c’est à dire leur boulot. Marx a bien montré que le
contrat social était par essence inégal, celui qui vend sa force de travail
étant en position de faiblesse face à celui qui l’achète. La première chose que
détruit le marché, c’est le prix du travail. En limitant le nombre de
contractants, le contrat social conduit à l’atomisation de la société. Au lieu d’avoir des
conventions collectives européennes, on commence par des conventions nationales
qui sont ensuite grignotées par des accords d’entreprise. Diviser pour régner.
Le travail de la Loi doit tendre à l’égalité sur le territoire où elle
s’applique. Le contrat social tend à l’inégalité car il l’organise. Pendant la
Révolution, le principal zélateur de Rousseau était Le Chapelier dont nous avons
abondamment parlé et qui avait supprimé les guildes mais également
l’enseignement professionnel…..et les syndicats !!
C’est la grande escroquerie du libéralisme. Appliquer
l’adjectif « social » au retour de l’individu. Ce que fait la
libérale Caroline Mecary quand elle distingue avec soin la mère
« biologique » de la mère « sociale » dont on peut se
demander en quoi elle est « sociale », sinon au prix de contorsions
psycholittéraires, une sorte de blabli-blablo qui mêle sentiments réels ou
supposés, heures de présence et ressenti de l’enfant souvent trop jeune pour
l’exposer clairement. A mes yeux, la mère « sociale » est un avatar
du créationnisme, car, comme lui, elle évacue la biologie au nom de l’idéologie.
Je peux en parler. J’ai été élevé par la vieille Pascaline, la
bonne de la famille que personne n’aurait élevé au rang de mère sociale, même
si elle est dans tous mes souvenirs, y compris les plus tendres. La seule
différence, c’est qu’elle ne couchait pas avec Maman, ma mère biologique, qui
ne m’a pas laissé que de tendres souvenirs.
Seulement voilà : le libéralisme a besoin de
l’individu, seul capable de détruire les groupes qui pourraient s’opposer à lui
et le mettre en danger. Et le contrat social est l’arme suprême dans ce
combat : il peut être proclamé par un seul individu, seul à y adhérer, et
y gagner une légitimité que la Loi lui refuserait.
On en reparlera…
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