samedi 2 octobre 2010

LA PETITE BOUTEILLE

Attention, c’est du lourd. Soyons sérieux. La Petite Bouteille, c’est le surnom de Deng Xiaoping, l’homme qui a introduit la Chine dans le concert capitaliste. On rigole pas. Ce que j’ai pu lire de niaiseries sur la politique de Deng est proprement hallucinant.

Le meilleur résumé, c’est Le Monde Diplomatique de novembre 1997 : « 18-22 décembre 1978. Lancement officiel de la réforme économique. Victoire de la ligne Deng Xiaoping sur la tendance néomaoïste animée par Hua Guofeng ». Résumé saisissant. Deng Xiaoping a éliminé les maoïstes. Néo, mais maoïstes quand même. Tout le monde a ressassé la même antienne. Au point qu’on a passé trente ans de maoïsme par pertes et profits.

On peut penser que personne n’a lu le discours de Décembre 1978. Il a duré quatre heures et son seul titre montre qu’il est rédigé en langue de bois fleurie : « Libérer notre esprit, rechercher la vérité dans les faits et nous unir en portant nos regards vers l’avenir ». C’est beau comme une statue de travailleur soviétique.

Comment a t-on pu croire que Deng renonçait au marxisme ? Toute sa vie a été consacrée à la révolution et au Parti Communiste dont il a été Secrétaire général pendant onze ans. Il avait adhéré à 19 ans avec Zhu Enlai qui sera toujours son ami. Le Maréchal Zhu Deh, dans ses Mémoires, rappelle que Deng fut Commissaire politique de la 115ème Division de la 8ème Armée de Route dont le chef n’était autre que Lin Biao. Il est certain que la carrière de Deng a connu des hauts et des bas. Mais les péripéties de la succession de Mao ne doivent être prises que pour ce qu’elles étaient : une lutte de pouvoir afin de savoir quel était le meilleur chemin pour construire le socialisme à la chinoise. Personne dans les hiérarques communistes chinois ne mettait en cause ce but. Le vocabulaire est trompeur : tout ce petit monde s’accusait de « dérives droitières », mais cela n’a aucun sens réel. Juste des formules qui veulent faire mal et qui ne doivent, en aucun cas, être prises au pied de la lettre.

Pour qualifier la mise en place de la nouvelle politique économique, Wikipedia a une formule savoureuse qui résume bien la vulgate médiatique : « Le nombre de réformes économiques de type capitaliste s’accélère, tout en conservant la rhétorique de style communiste ». Pour le dire clairement, selon Wikipedia, la Chine faisait du capitalisme en faisant semblant de rester communiste. A ce compte, tout ce qui pouvait être dit, toujours très clairement, ne comptait pas. C’était juste de la « rhétorique ». Personne n’a osé imaginer que ce pouvait être le contraire : que Deng faisait du communisme avec une rhétorique capitaliste.

Ça fait trente ans que ça dure. Trente ans que les Chinois nous disent clairement qu’ils sont communistes, qu’ils veulent construire un socialisme à la chinoise et trente ans que les Occidentaux pensent : « Cause toujours ». Il y a une chose qu’on ne pourra jamais reprocher aux Chinois, c’est d’avoir menti. Deng a été très clair dans son mot d’ordre de 1982 : « Combiner la vérité universelle du marxisme avec la pratique de notre pays, suivre notre propre voie et édifier un socialisme à la chinoise ». La « vérité universelle du marxisme » ! Faut pas avoir peur quand même ! Quand il dit ça, l’Occident se marre, l’URSS est en pleine débâcle et on le sait bien que le marxisme, ça ne marche pas. On met la phrase dans le sac de la rhétorique et on passe à autre chose.

En plus, Deng, il a peur de rien. Il récupère Hong Kong en mettant en place sa fameuse politique « Un pays, deux systèmes ». L’Occident comprend aussitôt que le capitalisme a droit de cité en Chine. Exact. A Hong Kong et dans quelques zones économiques spéciales, bien délimitées. Pas ailleurs. Mais c’est vrai que Deng a le sens du slogan. Il aurait pu dire « Un pays, trois systèmes » pour rappeler que dans certains coins de Chine, au Xinjiang par exemple, il est des zones administrées par l’Armée rouge, des zones spéciales appelées « bingtuan ». Mais bon, pas la peine de fâcher le capitaliste occidental qui s’excite dès qu’il est question de droits de l’homme.

Ça, c’est de la rhétorique. Le capitaliste occidental, il se préoccupe pas tant que ça des droits de l’homme. Il a la paupière sélective quand il s’agit de fermer les yeux. De temps en temps, il dit que c’est pas bien et puis, il sort son stylo pour signer les contrats. Les politiques à son service font de même. Ils reçoivent le dalaï-Lama, mais pas trop quand même. Surtout qu’au plus profond de leur inconscient, ils aiment bien avoir affaire à un gouvernement fort. On sait où on va. On va pas prendre des taxes et des mouvements sociaux dans les dents. Quand le gouvernement est fort, l’ouvrier file doux. Le Chine est un rêve : un fonctionnement de type capitaliste dans un système politique fort. Le profit et la paix sociale.

Tout ça, Deng, il l’avait prévu. Deng connaissait Marx. Il savait bien que faire reculer la baisse tendancielle du taux de profit est l’obsession du capitaliste. Il savait bien qu’en offrant des marges, il mettrait tout le monde à ses pieds. Il a fallu trente ans, mais c’est fait. Cette semaine, l’administration Obama a voulu légiférer contre le yuan faible. Et qui a bondi pour défendre la position chinoise ? Wall-Mart, la première chaine de grande distribution au monde. Le patron de Wall-Mart, c’est pas un débile mental. Il a bien compris que taxes sur les produits chinois égale baisse de la consommation et baisse corrélative de ses profits. Là où je me marre, c’est que j’imagine que les gosses du patron de Wall-Mart, ils vont dans une école où on hisse les couleurs américaines tous les matins. Nationalistes jusqu’au portefeuille. Jusqu’au portefeuille exclus, ça va de soi.

Je soupçonne Deng d’avoir été marxiste jusqu’à l’obsession. Pour un marxiste dogmatique, Mao avait fait une erreur en passant directement du stade féodal qui était celui de la Chine en 1949 au stade communiste en faisant l’économie du stade capitaliste. Le communisme ne peut naître que sur la destruction du capitalisme. C’est la position de Marx. Alors Deng, marxiste dogmatique, a décidé d’engager la Chine dans la voie d’un capitalisme contrôlé (oh, combien) afin de préparer correctement le communisme. Il a voulu ne pas sauter les étapes.

Si on analyse à cette aune le « capitalisme » chinois, le panorama change du tout au tout. Et on revient à l’image tauromachique (http://rchabaud.blogspot.com/2010/09/la-chine-mamuse.html ). D’autant que pas un capitaliste n’est prêt à admettre qu’on puisse construire le capitalisme pour mieux le détruire.

Seulement voilà : les capitalistes jouent au poker. Pas au go…

On en reparlera.

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