vendredi 8 octobre 2010

LE CABANON DE GENTELLE

Hier, on a mis Pierre dans la terre. A ma connaissance, c’est la première fois qu’il allait dessous. Il préférait l’arpenter, la renifler, la décrire. Il aimait ses fruits, surtout ceux qui poussent dessus. Dessous, c’est que des tubercules. Rien que le mot, tubercule, c’est pas très excitant.

J’ai retrouvé Pierre un peu plus tard dans ma supérette. Il me fallait de la sauce tomate pour mon petit. J’ai interdit le ketchup pour cause d’anti-américanisme primaire, mais la sauce tomate je peux pas. C’est aussi mon histoire, les bocaux de ma tante Marie où elle mettait un gramme d’acide salicylique pour pas que la tomate pique. C’était mon boulot : un kilo de pulpe de tomate, un petit sachet d’un gramme de poudre blanche.

Et voilà que sur les rayons, y’avait que de la tomate des Conserveries du Cabanon. De la belle tomate estampillée Vaucluse. Vaucluse ? Mon œil ! C’est Pierre qui me l’avait expliqué. Et pas qu’à moi, vu qu’il avait publié son explication dans ses Lettres de Cassandre (http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1455 ). Tu veux faire le locavore et préférer la tomate provençale au ketchup étatsuniens et te voilà obligé d’acheter de la tomate du Xinjiang. Et de la tomate militarisée de surcroît. Pas que je sois antimilitariste, mais quand même, c’est pas leur boulot aux bidasses de ramasser des tomates. Remarque, ils ramassent pas. Ils surveillent les ramasseurs, c’est plus conforme à leurs attributions.

Avec Pierre, j’avais appris que l’APL, la glorieuse APL qui a viré les Japonais et laminé les nationalistes conservateurs pour les réduire à Taïwan, était devenue une entreprise presque comme les autres. Ça te fout un coup. T’admires Zhu Deh et tu t’aperçois que ses successeurs traitent avec Pizza Hut. Bon, y’a des trucs qu’on peut comprendre. Quand on te file quelques milliers de prisonniers politiques à nourrir, loger et surveiller, faut bien les occuper. Les travaux agricoles, ça occupe, ça évite de trop penser, c’est fatigant et ça nourrit le peuple. Ah, bon ? Les Chinois bouffent des tomates ? Autrefois, non. Mais on va pas regarder en arrière dans un pays progressiste. Ils vont en bouffer. Et puis, nous, on en bouffe. Et pas que nous. La tomate, c’est un marché. Mondial. Alors quand on te file de la main-d’œuvre bon marché (les salaires des prisonniers politiques, faut être honnête, ça te détruit pas le compte d’exploitation), quand on te file de la terre gratuite (là, c’est le compte d’immobilisations qui sourit), le marché mondial, il est à ta main.

Et donc, merci Pierre, l’Armée Populaire de Libération, l’Armée Rouge, elle contrôle des belles entreprises cotées à la bourse de Shenzhen. Le Général devient Président-Directeur général. J’admets que la nuance linguistique est faible.

C’est le gouvernement qui doit être content. Le gouvernement ? Mais il n’a rien à voir avec l’Armée. Tu te crois où ? L’Armée Rouge, elle dépend d’une Commission permanente du Parti Communiste. Pas du gouvernement. L’Armée Rouge est le bras armé du Parti. Chipotons pas, c’est pareil. Aujourd’hui. Aujourd’hui, Hu Jintao il est Président de la République, Secrétaire général du Parti et Président de la Commission permanente militaire.

Mais demain ? Rêvons. Admettons qu’il y ait des élections libres et que les Chinois, massivement, rejettent la tutelle du Parti communiste. Et bé, le Parti communiste, il garde l’Armée. C’est pratique pour les opposants…. Même si on admet qu’il puisse y avoir des généraux loyalistes, faut pas croire que l’Armée rouge dans son ensemble va s’opposer au PCC. La République espagnole aussi, elle avait des militaires loyalistes. On a vu ce qui est advenu.

Pour un Occidental, c’est incompréhensible. L’armée ne dépend pas du gouvernement mais d’un parti politique. L’armée se comporte comme un organisme indépendant qui fait des affaires et vend des tomates. On n’a jamais vu ça….

Bof ! on n’a pas fini de voir des choses qu’on n’avait jamais vues. C’est emmerdant : on n’y est pas préparé.

Alors, j’ai acheté des tomates chinoises. Et j’ai acheté une bouteille de vin australien. Du vin bien français, produit par le groupe Pernod-Ricard dans les environs d’Adelaïde.

D’ailleurs, Adelaïde, c’est un vieux prénom français, non ?

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