mercredi 29 septembre 2010

LA CHINE M'AMUSE

La Chine m’amuse. Elle m’amuse parce que je suis un amateur de corrida et que je prends mon pied chaque fois qu’un torero vient manipuler un bestiau devant moi.

Voilà près de trente ans que le torero chinois est entré dans l’arène mondiale. Devant le toro du capitalisme occidental, il a déployé une cape. Pas rose. Verte. Verte comme le billet du même nom.

Au début, le toro s’est montré méfiant. Presque timide. Et puis, le jeu a pris de l’ampleur. Les passes devenaient de plus en plus assurées. Le toro passait de mieux en mieux. Il faut dire que le torero avait cette qualité fondamentale : le temple. C’est ainsi que les Espagnols appellent cette manière de toréer, à la fois douce et lente, qui amène le toro sur le terrain désiré, qui l’hypnotise et permet de le dominer à coup sûr.

Bien entendu, le toro ne sait pas qu’il est dominé. Il suit la cape comme un con, il ne voit qu’elle, il a tout juste conscience de l’homme. Il passe, se retourne, revient, encore et encore.

C’est ainsi qu’on l’amène à la pique. Au début, ça le surprend. Et puis, il en redemande. Il fonce à nouveau, subit la douleur. C’est assez surprenant. N’importe quel herbivore subissant une douleur s’empresse de fuir. Pas le toro de combat. Il est le seul à en redemander.

Le toro du capitalisme est un toro de combat. Il prend des piques et retourne au combat. Le torero chinois, il a commencé doucement. Avec les droits de l’homme, pour voir. Il a vu. Il a vu se lever les médias et les financiers se coucher. Un de ses maîtres l’avait prévenu : « Les capitalistes nous vendront la corde pour les pendre ». Il a constaté que la phrase était juste.

Alors, peu à peu, il a resserré les passes. En douceur et sans menaces. Le toro aurait bien aimé qu’il réévalue sa monnaie. En douceur et sans menaces, il n’en a rien fait. Il a offert et encore offert. De la main d’œuvre bon marché, des matières premières à vil prix. Même de la nourriture. Le torero chinois est le second marchand de tomates dans le monde.

Le torero gagne toujours, au grand dam des amis des animaux. Il gagne parce qu’il connaît le toro et que le toro ne le connaît pas. Le torero chinois connaît le toro du capitalisme. Le torero chinois est marxiste, il a lu Le Capital, il sait comment ça marche. Le toro capitaliste n’a pas lu Marx (qui c’est, celui-là ?), il ne sait rien de son propre fonctionnement. Il ne s’y intéresse pas, seuls comptent les résultats. Le torero chinois est terriblement matérialiste et il a le sens de l’Histoire. Le toro capitaliste passe son temps dans un monde virtualisé et se fout du Temps, surtout du Temps historique.

Le toro imagine toujours que son adversaire est comme lui. Quand le toro se bat, il fonce, donne des coups de tête parce qu’il sait la puissance de ses cornes, il les a essayées contre d’autres toros. En l’envoyant à la pique, le torero le trompe, lui fait croire qu’il est dans le combat qu’il connaît : foncer, utiliser ses cornes, la puissance de son cou. Le toro ne peut pas imaginer l’esquive et la souplesse.
Quand il s’en aperçoit, c’est trop tard. Au bout de la faena, il a compris. Le danger, c’est ce truc qui se dérobe, ce truc qui a une drôle d’odeur, une odeur inconnue. Il va falloir apprendre. Mais quand il a compris, il est blessé, affaibli. Le torero le sait. Il voit bien que les charges se font plus courtes, que la tête devient dangereuse. Il sait qu’il est temps d’en finir et que le fauve affaibli n’offrira plus de résistance.

Le capitalisme est un vrai toro. Il imagine que son adversaire est comme lui. Il ne le voit même pas comme un adversaire. C’est le même combat, les mêmes Bourses, les mêmes holdings, les mêmes Foires commerciales. Pas tout à fait les mêmes cependant. Les holdings sont contrôlées par le pouvoir politique, la capitalisation boursière remonte au gouvernement. C’est presque pareil sauf que le toro du capitalisme refuse la main-mise du politique et que le torero chinois baigne dans le politique.

Moi, je suis sur les gradins. Je me régale parce que le spectacle est magnifique. J’apprécie en connaisseur les passes. Tu libères mon capitaine ou je cesse de te filer les matières premières, dit-il au gouvernement japonais. Et le Japon s’incline. Comme s’inclinent tous les gouvernements. Avec quelques coups de cornes dans le vide malgré tout.

Combien de temps encore pour ce spectacle impressionnant ? Quand viendra le temps de la mise à mort ? Et y-aura t’il mise à mort ? Ce n’est même pas acquis. Le torero ne peut manifester sa puissance que si la bête est vivante. La mise à mort n’a que peu d’intérêt. Il faut et il suffit que le toro soit châtié, disponible, prêt à mourir. Il faut que ses dernières velléités de révolte soient étouffées. Qu’il soit immobile, essoufflé, haletant, impuissant.

On en reparlera.

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