mardi 7 septembre 2010

NOUS AVONS PEUR D'UNE GUERRE

 C’est bien YouTube. Je cherchais des images de Kouchner. J’ai trouvé un discours que j’avais oublié. Y’a des phrases fortes.

Cella-là, par exemple : « Nous avons peur d’une guerre et nous n’en voulons pas ». Même Daladier à Munich n’avait pas osé. Remarquez, le message est clair. Poutine et Medvedev l’ont reçu 5 sur 5. Ils n’en avaient pas vraiment besoin : chaque hiver, avec le gaz russe, ils savent qu’on va s’écraser. Déjà que la Bourse s’effondre et que le pouvoir d’achat déconne, faudrait pas, en plus, que les Français se les gèlent. Medvedev, il a la main sur le robinet et il nous dit : « Y’a quelque chose qui va pas ? ».

Sarko, il fait gentil : « Excusez, m’sieur, mais la Géorgie »… Alors Poutine :« La Géorgie ? le berceau de notre immortel Staline ? Mais c’est la Russie. Staline, il était russe ? Il était aussi géorgien ? CQFD. La Géorgie est russe. T’as quelque chose à dire ? Moi, j’ai pas peur de la guerre ? On y va ? »

« Avec ça, j’ai pris conscience que mon mari risquait sa vie ». C’est pas Kouchner, c’est une femme de soldat du 8ème RPIMA. Fabuleux. La gisquette, elle épouse (1) un engagé (2) d‘un régiment classé action, (3) qui doit bien lui raconter sa formation et ses manœuvres, et (4) elle s’étonne qu’il risque sa vie. Quand elle mate le bulletin de paie avec les primes de risque, elle doit bien voir que son mec, il est pas bureaucrate à La Poste. Qu’il est payé pour ça et que sa pension de future veuve de guerre, elle est déjà prévue. Quand t’es payé pour risquer, tu risques et tu gagnes pas toujours.

Regroupons les deux infos. Medvedev se marre. Si chaque fois que les Russes avaient eu dix morts, Brejnev avait du aller à Kaboul, il avait meilleur compte d’y transporter le Kremlin. Jamais, il en serait parti.

Parce que l’affect et les bons sentiments, c’est pour les médias de la télé-réalité. Pas pour les politiques et les diplomates. A force de confondre vision médiatique et réalité, on se plante grave. Les bons sentiments, c’est pas pour la vie réelle. On peut le déplorer, ça ne change rien. Les seuls rapports opérationnels sont les rapports de force. Le plus faible perd toujours.

Quoiqu’on en pense le Mur de Berlin est toujours debout. Et de l’autre côté, il y a toujours des communistes. C’est à dire des gens qui ont le sens de l’Histoire et qui savent que l’Histoire, c’est d’abord conflictuel. La lutte des classes. Le rapport hégélien. Il est partout. En 1965, Serge Doubrovsky analysait Le Cid comme une métaphore de la lutte des classes. Aujourd’hui, ça fait rire. Mais aujourd’hui on vit le temps présent, pas le temps historique.

Alors, dit le Président, jouons les médias. De beaux mouvements de menton pour le Tibet avant d’aller à Pékin pour la cérémonie d’ouverture. Des médailles et des cérémonies après avoir renforcé le contingent en Afghanistan. Règle de base : une annonce, ça fait la première page sur cinq colonnes, le démenti ça fait cinq lignes en page 10. On torée les cons. Ça marche à tous coups.

Remarque : les cons, ce sont des hommes. Les toréer, c’est tout simplement les mépriser. Mentir, déformer, truquer, tricher, ruser, c’est mépriser un autre Homme, ne pas le croire capable de raison, de compréhension. C’est peut être vrai d’ailleurs. Il suffit alors de l’éduquer. Y compris par la force. L’éducation, c’est pas naturel. Relisons Rousseau.

L’été 2008 fut un bel été. On a adoré le Tibet avant d’aller à Pékin. Le Dalai, il était content : il a rencontré Madame et elle est quand même plus bandante que son mec. Franchement, qui hésiterait entre une heure avec Carla et une heure avec Nicolas ? On a beau être Sainteté, on n’en est pas moins homme.

Pendant ce temps, ce rigolo de Laurent Joffrin exposait dans Libé que notre attitude est celle de la civilisation. Civilisés mais morts. On est content parce qu’on en prend plein la gueule dans le respect de nos principes. Nos principes ? Même pas. On fait quoi en Afghanistan ? Grâce à Joffrin, on sait : on meurt pour des principes. Joffrin, il oublie que quand t’es mort, les principes, ça sert plus à rien. Ils meurent avec toi. Les Romains, ils avaient un joli principe : si vis pacem, para bellum.

Les communistes nous font un doigt d’honneur. Ils savent que le Dalai compte moins que Airbus. Que la Géorgie ne fait pas le poids face au gaz naturel. Ils savent que Lénine a dit que le capitalisme vendra la corde pour le pendre. Ils ont aussi des principes, les communistes. Mais il paraît qu’ils sont plus communistes.

Même sur le plan discursif, on est mauvais. On justifie le Kosovo, on refuse l’Abkhazie. Au nom de quoi ? On bredouille, on merdouille. On s’en fout : le communisme est mort. Souvenez vous de madame Carrère d’Encausse expliquant que l’URSS allait mourir. Pour un cadavre, je le trouve assez remuant. C’est pas l’URSS mais la CEI ? Ah ? Comme si la marque de la capote était importante quand on se fait mettre. Pour nous, oui. On a même un nom pour ça : la brand communication.

Les communistes, c’est des salauds matérialistes. Nous, on a inventé le virtuel, les options, tout un système sophistiqué et déconnecté du réel. Eux, ils te parlent superficie, possession des matières premières, ces cons, ils en sont encore aux biens physiocratiques du 18ème siècle. On pensait que tout était réglé. Même pas : y’a plus de gaz à Lacq, le gaz on l’achète à Medvedev. C’est pas virtuel, le gaz, faut des usines, des gazoducs, du concret, du matériel, des pue-la-sueur (on peut aussi dire prolétariat, c’est pas un gros mot).

OK, dit la Bourse, mais on le paye, alors on est tranquille. Le plus tranquille, c’est Medvedev. Medvedev, il nous dit tranquillement : je ferme le robinet, ton pognon, je m’en fous. Et qui va lui répondre : ferme, ton gaz, je m’en fous ? Personne. On pourrait rêver d’un beau sarkozyen discours qui expliquerait aux Français qu’il va falloir se passer de gaz. Comme on aurait pu imaginer de refuser d’envoyer nos athlètes à Pékin. Seulement, on ne peut pas. « Le sang, la sueur et les larmes », ça avait une autre allure. Mais Churchill est mort. Et même pas d’un cancer du fumeur.

J’imagine mon vieil oncle Adrien regardant Kouchner et Sarkozy et je sais ce qu’il aurait dit. « Que de la gueule ! ». Ben oui. Et Hu Jintao et Medvedev, ils le savent parfaitement. Ils savent qu’on est englués dans une guerre qu’on appelle « maintien de l’ordre », comme en Algérie au début des années 60. Ha ! Kouchner, il a dit aussi : «  Ce n’est pas une guerre ». Y’a des soldats, des adversaires, des morts mais ça n’est pas une guerre. A force de vouloir que les mots remplacent les choses, on oublie les choses. On oublie aussi que personne n’a jamais gagné en Afghanistan, et que les guerrillas ont toujours raison des armées de métier. Tout est en place pour une branlée majuscule.

Ils savent aussi qu’on dépend entièrement d’eux. Pas vraiment, en fait. On pourrait se les geler tout un hiver ou cesser d’importer des milliers de containers de breloques à dix sous. Mais personne n’est prêt à en payer le prix. C’est pas le Dalai Lama qui va monter des ordinateurs à Dharamsala pour remplacer Lenovo.

Au niveau des Etats, on assiste à quelque chose comme une bataille de rue. D’un côté, les petits bourgeois, de l’autre les voyous. Ceux qui ne respectent pas les règles que les autres ont établies. Le voyou, il te savate quand t’es par terre. Le petit bourgeois s’indigne : « Hé ! c’est pas des manières de gentleman ! C’est pas comme ça qu’on fait ! » Ben non, c’est pas comme ça qu’on fait. C’était comme ça en Algérie, au Viet Nam et pendant la guerre de 40. Pour flinguer l’ennemi, t’enlèves l’uniforme, il te reconnaît pas et tu peux t’approcher de lui en douce. Les Nazis, ils le disaient déjà : « C’est contraire aux lois de la guerre ». Sauf que les lois de la guerre, ça existe pas. La loi de la guerre, c’est de survivre et de détruire l’autre.

Rigolons tant qu’il en est temps. On est pieds et poings liés, on a cassé notre appareil productif y compris agricole. On est dépendants. Comme des camés. On dépend du gaz russe et des ordinateurs chinois. Mais c’est pas grave : on fait semblant de croire qu’on dépend de Wall Street. Alors on fait pas la guerre en Afghanistan (on défend le monde libre contre le terrorisme), on n’aide pas le système bancaire (on met en place les conditions de la relance), on respecte nos principes et on va supporter le PSG. Du pain et des jeux, vieille recette.

Pendant ce temps, les Chinois ils se payent le marché de la tomate. C’est vrai qu’ils ont commencé petit avec de la main d’œuvre gratuite, des prisonniers politiques. Pas mal payés. Pas payés du tout, c’est encore moins cher. C’est pas bien ? Non. Mais quand ils rachètent les coopératives du Vaucluse, les maires du coin ferment les yeux. Au nom de leurs principes ? Ben oui. Liberté du commerce et fraternité internationale. Les principes pour un homme politique, c’est comme les couleurs pour un peintre. En fonction du tableau, tu changes.

Mais ne soyons pas négatifs. Parfois la vérité est dite : « Nous avons peur d’une guerre ». Voilà les autres prévenus. Remarque, ils le savaient.


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