vendredi 17 septembre 2010

CULTURE ET CREATION

J’ai reçu une invitation à un vernissage d’un « collectif". Les collectifs, c’est comme le pâté. Beaucoup de bas morceaux pour la matière, un trait d’armagnac et une miette de foie gras pour le goût.
Un collectif féminin intitulé sans modestie « Femmes créatrices de culture ». Boum ! Télescopage ! La création participe-t’elle de la culture. Sans nul doute. Pour autant, toute création est-elle culturelle ? Non. A l’évidence.

Tout le monde crée. Très tôt. Allez dans une maternelle, les lardons, ils s’en donnent à cœur joie. Ils peignent à s’en mettre jusqu’aux oreilles, ils inventent des histoires, des mots, des comptines. Font-ils pour autant œuvre culturelle ?

C’est l’une des grandes impostures de notre époque : faire croire que la culture n’est que de la création. Prenons la définition de l’Académie (ils sont là pour ça, les Immortels) : «Ensemble des acquis littéraires, artistiques, artisanaux, techniques, scientifiques, des mœurs, des lois, des institutions, des coutumes, des traditions, des modes de pensée et de vie, des comportements et usages de toute nature, des rites, des mythes et des croyances qui constituent le patrimoine collectif et la personnalité d'un pays, d'un peuple ou d'un groupe de peuples, d'une nation ». C’est à peu près clair.

Dans cette définition, y‘a plein de mots qui me font signe : « acquis », par exemple. Mais aussi « coutumes » ou « traditions » ou « rites » ou « patrimoine ». Tous ces mots donnent à la définition une profondeur historique. La culture, c’est un état enraciné. Sans cette profondeur historique, point de culture. Pour simplifier, culture = création PLUS histoire.

La création est immédiate, ponctuelle. Elle est d’aujourd’hui. C’est l’histoire qui va la transformer en culture. Je vois la culture comme un gigantesque sable mouvant où l’on jette, jour après jour, des créations. Certaines s’enfoncent dans le sable, englouties dans l’oubli, d’autres surnagent. Notre culture, ce sont les couches supérieures de ce sable mouvant. C’est le Temps historique qui construit une culture. Les traditions, ce sont les traditions qui ont survécu, celles que nous connaissons ou partageons. Il y en a eu d’autres qui n’ont laissé nulle trace. Libraire, je suis bien placé pour le savoir. Année après année, les livres disparaissent. Ceux qui restent au-delà des siècles, c’est notre culture littéraire. Montaigne et pas Paul Bourget. Tout écrivain est créateur. Ça ne signifie pas pour autant qu’il fera partie de notre patrimoine culturel. Pensons avec regret à Thyde Monnier, une sorte de Guillaume Musso des années 1920 et que plus personne ne lit.

Je déteste Jack Lang, ministre fossoyeur de cette culture dont il était en charge. Je compare en me marrant l’œuvre de Jack Lang et celle d’André Malraux. Malraux le romancier, le créateur, l’homme qui laissera une œuvre et qui avait fait de la préservation du patrimoine une priorité absolue. Il le savait bien, lui, que la création était insuffisante à définir la culture. En face, Jack Lang, à l’œuvre anorexique (à part un traité sur le droit de la mer, sa vraie spécialité) qui s’est évertué à aider les créateurs dont il était incapable de faire partie. Qui a négligé la dimension historique qu’il était incapable de percevoir. Je n’exagère pas. Sous Jack Lang, des musées comme le Musée des Monuments Français ou le Musée basque ont failli disparaître, faute de crédits.
Jack Lang s’est autoproclamé Ministre de la Création alors qu’il était Ministre de la Culture et ce n’est pas la même chose. Ses successeurs se sont crus obligés d’en faire autant. Et l’idée est passée que la création était de la culture.

Mais, mééééé, bêle le peuple. Il faut bien soutenir la création. Non. Ce qui doit soutenir la création, c’est le marché. Comme toujours. Hugo vivait (fort bien) de ses livres et Picasso de sa peinture. Tous les créateurs qui survivent aujourd’hui dans notre culture ont vécu de leur art. Il y a quelques exceptions : Van Gogh, par exemple. Encore que le Docteur Gachet lui ait donné un coup de main. Modigliani. Ces exceptions ont créé le syndrome de Chatterton (ce n’est pas un ruban adhésif) ou syndrome de l’artiste maudit. De là à en déduire que tout artiste ne vivant pas de son art est un génie, il y a un grand, un très grand, pas. Que des artistes médiocres en vivent grassement ne signifie rien, non plus. Il y en a toujours eu. Thyde Monnier, par exemple. Ou William Bouguereau (encore que…. Je l’aime bien Bouguereau). Après leur mort, le marché s’en détourne. Le marché se rétrécît, il se détricote. La masse passe à autre chose, les amateurs cultivés la remplacent. Le filtre de l’Histoire joue à plein.

L’Histoire. Cette base idéologique qui caractérise la pensée de gauche, le matérialisme historique. Je déteste le marché, mais je dois bien convenir que le marché, aussi, a une histoire. Et qu’en matière de culture, la « main invisible » d’Adam Smith fonctionne plutôt bien. J’ai passé des heures à dénicher des livres d’auteurs oubliés pour m’apercevoir que, s’ils étaient méconnus, c’est qu’ils le valaient bien. En fait, la main invisible fonctionne dès qu’elle sort du présent immédiat.

On en reparlera.

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