jeudi 16 septembre 2010

LE CITADIN EST UN PARASITE


En février 2008, j’ai été invité à une réunion de géographes sur la perception de la ville grâce au Vélib’. Le texte préparatoire m’a foutu hors de moi tellement il était bobo-gnangnan et politiquement correct.J’ai donc décliné et envoyé cette contribution qui n’a pas été lue, bien entendu. Elle a pourtant été partiellement reprise par mon ami Cassandre dans son blog des Cafés-géo 

(http://www.cafe-geo.net/rubrique.php3?id_rubrique=43 )

 LE CITADIN EST UN PARASITE

 Il est temps de le dire clairement face à la dérive de la raison. Le citadin est un parasite. Il ne produit rien, rien que de l’argent, ce qui n’est pas si mal mais qui reste insuffisant pour construire une société juste. Par ses modes de vie, ses modes de pensée, son arrogance, le citadin, et le Parisien plus que tout autre, est un destructeur. Coupé du monde, le vrai monde, le monde où il fait froid l’hiver et chaud l’été, le monde où les arbres fleurissent au printemps et où Pâques voit naître les agneaux, le citadin n’a même plus conscience qu’il détruit. Enfant gâté, il veut tout, tout de suite et affirme bien haut qu’il est prêt à payer le prix. Rien n’est plus faux, bien entendu.

Le citadin ne paye pas le prix de ce qu’il consomme. Il le fait supporter aux autres, les bouseux, les cul-terreux, les provinciaux aux accents insupportables, au vocabulaire exotique. Pour qu’il consomme ses laitues en janvier, il n’est pas gêné que des milliers de camions passent quotidiennement dans les vallées basques et catalanes. Le coût de cette pollution n’est pas pour lui. Pas plus que le coût de la climatisation et du chauffage qui lui servent à annihiler cette horreur : la succession des saisons.
Le citadin ne paye pas car il est malin : il a des copains qu’on appelle les distributeurs qui savent acheter du poisson au Chili ou des haricots verts au Kenya pour qu’il ait tout, toute l’année, au meilleur prix. Les maraîchers locaux qui ne peuvent survivre, les pêcheurs bretons acculés à la faillite, ce n’est pas le problème du citadin. Après tout, ces gens là n’ont qu’à vivre en ville. Comme tout le monde.

Ils n’ont qu’à avoir les problèmes de tout le monde. Par exemple, comment voir la ville du haut de son Vélib. C’est bien le Vélib, c’est écologique, ça évite de polluer Paris avec sa voiture et de savourer pleinement les laitues de février. C’est pas polluant, sauf peut-être, éventuellement, lors de sa construction en Chine dans une usine qui ne respecte pas tout à fait les normes du Protocole de Kyoto. C’est pas polluant, sauf peut être, éventuellement, les gros camions qui sillonnent la ville toute la journée pour aller remettre des Vélib aux parcs à Vélib qui en manquent.

Le citadin a la fibre verte. Il aime le grand air au point qu’il préfère vivre dans un pavillon avec jardin à deux heures du centre ville. Ou alors, il cajole un buron en Aubrac ou une vieille maison dans le Beaujolais pour profiter du bon air, de ce bon air qu’il ensemence de fumées pour rejoindre son pavillon, son buron ou sa ferme retapée. Il est vrai que c’est lui qui jouit du bon air mais l’ensemble du monde qui va profiter de son CO2.

Le citadin est soucieux de sa santé. Il porte une attention réelle et soutenue à ce qu’il mange. Il lui faut des légumes verts qui semblent gorgés de vitamines, des pommes rubicondes, des brocolis au vert tendre. Il se fout que les pommes viennent de Nouvelle-Zélande et les brocolis du Kenya. Ne rions pas : le 9 février 2010, à l’angle de la rue des Martyrs, sur les étals du plus grand cours des halles du quartier, moins de 10% des produits venaient de France et on ne peut pas jurer qu’ils ne soient pas cultivés sous serre. Bons pour la santé du citoyen, peut-être (encore qu’on puisse en douter dans l’ignorance où nous sommes des pratiques culturales), bons pour la santé de la Terre, sûrement pas. Mais ce n’est pas grave : on compensera en utilisant le Vélib et en votant pour les Verts. C’est ça la conscience politique du citadin : une douce musique pompée dans les médias.

Dans les sociétés traditionnelles, la production sur place est la règle, le transport l’exception, à l’inverse des sociétés modernes. La première fonction du transport n’est pas de transporter des marchandises mais de transporter des hommes. Des centaines de millions d’êtres humains commencent par se transporter de leur lieu d’origine vers les mégalopoles, puis, quotidiennement, ils se transportent de leur lieu de vie à leur lieu de travail (car le travail ce n’est pas la vie, n’est-ce pas ?) dans une noria incessante et quotidiennement renouvelée, ils se transportent de leur lieu de vie à leurs lieux de loisirs, de leurs lieux de vie aux lieux de vie des autres. Ils n’en ont  même plus conscience tant la mobilité est devenue la règle et même un mode de vie que les publicitaires nous ressassent : soyons mobiles….

Le citadin s’en fout. Moderne, il est persuadé que le Progrès apportera des solutions. Il ne sait pas que le Progrès n’est qu’un faisceau de technologies qui ne peut apporter que des réponses immédiates à des problèmes immédiats. Il n’y aura pas de réponse immédiate aux nuisances générées par un siècle et demi de transport échevelé. Il y a trop de retard, trop d’habitudes, trop de CO2. Il y a trop de camions, trop de bateaux, trop d’usines. Nous sommes incapables d’appliquer le Protocole de Kyoto qui ne prévoit pourtant qu’une diminution de la production de gaz à effet de serre, une diminution, pas une inversion. Mais le citadin a besoin de croire et le Vélib aide à croire. Il est le symbole de sa bonne volonté, alors il l’aime.Le Velib est le crucifix d’une nouvelle Foi, la Foi en un avenir radieux.

Quand le citadin va voir le cul-terreux, il arbore volontiers quelques signes de modernité comme la grosse auto ou le portable dernier cri. Le cul-terreux, il aime pas beaucoup, il sent un danger. Il a pas de vraies connaissances en économie mais il voit bien que les choses ne vont pas dans le sens de sa vie. Forcément : il y a 50 ans, le citadin dépensait plus de 50% de ses revenus pour se nourrir. Normal : quand on ne produit pas, faut payer ce qu’on ne produit pas. La part de la nourriture n’a cessé de décroître, au même rythme que baissaient les revenus du cul-terreux. On lui a bien filé des pansements, une politique européenne, des subventions, mais dans l’ensemble, ça n’a pas vraiment suffi. Le citadin, lui, économisait sur sa bouffe et réorganisait son budget. L’argent investi dans le portable n’est rien d’autre que l’économie faite sur le dos du cul-terreux. C’est la définition même du parasite : il construit sa vie sur la perte des autres.

Le cul-terreux  a quelques idées simples : il sait, parce qu’il les voit pousser, que les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel. Il sait que la terre est basse et que les champs sont limités. C’est sa vie la limite, la borne qui délimite son champ, la route qui mène au village voisin. Le citadin a perdu le sens de la limite. Il bâtit sa vie sur la croissance infinie, sur le déplacement infini, il a le monde pour domaine. Il a seulement oublié que le monde mesure 40 075 kilomètres de circonférence, pas un de plus, et il n‘y en aura jamais un de plus. Il oublie que la Terre vit car le Progrès le protège du chaud, du froid, du noir. Mais pas de l’inconnu.

Le citadin a le monde pour domaine et il le traite comme tel. Il va dans les forêts des cul-terreux chercher des champignons ou des brins de muguet, le dimanche, pour ses loisirs. Il se balade dans les champs de trèfle qui sont pour lui comme un jardin. Il randonne en montagne avec son chien qui affole les brebis et hurle quand il se trouve pris dans un écobuage. Il va alors jusqu’à dénier au cul-terreux le droit de s’occuper des pâturages qui le font vivre. C’est pas beau la montagne après un écobuage. Le citadin n’imagine pas que les champignons ou le muguet sont un revenu d’appoint, qu’un champ est beaucoup plus difficile à faucher quand il a été piétiné, qu’un troupeau de moutons qui fuit ce sont des brebis qui n’agnelleront pas. Et si le cul-terreux, excédé, sort son fusil, le citadin s’offusque. Il s’offusquerait bien plus si le cul-terreux venait piétiner son jardin à lui.

Car le citadin veut le beurre et l’argent du beurre, l’éclairage public qui brûle toute la nuit, les espaces verts et les légumes verts, la climatisation toute l’année, le bon air, le fric, les loisirs. Tout. Il a perdu tous les savoirs, les vrais, le savoir du temps qui passe, le savoir des rythmes de la terre et n’en a acquis aucun car il confond désormais savoir et information. Il croit dur comme fer que Poivre d’Arvor lui apprend des choses.

Alors le citadin qui est un petit être borné, qui bouffe de l’information frelatée et de la nourriture frelatée (TF1 et MacDonald), un petit être qui refuse de réfléchir à ce qu’il est et ce qu’il fait, enfourche son Vélib. Dieu merci, il ne peut pas sortir de Paris, aller par exemple sur la branche de l’autoroute du Sud qui conduit à Rungis, vers trois ou quatre heures du matin. Là, il pourrait toucher du doigt les conséquences de son mode de vie. Mais il est tellement con qu’il ne pourra s’empêcher d’admirer toute cette puissance qui lui permettra demain d’aller acheter des tomates et des céréales pour son lardon qu’il engraisse afin de mieux enrichir les nutritionnistes.

Le cul-terreux sait, lui : les céréales, c’est pour le bétail…..

Voilà, ce que j’aurais voulu entendre sur le Vélib dans une perspective géographique : le monde, les transports, c’est de la géographie. Pas un discours gnan gnan sur la perception du monde du haut de son Vélib… Laissons ça aux psychologues et aux pages bien-être des magazines féminins. Revenons aux fondamentaux. Pas comment on vit, mais comment on devrait vivre, pas comment on pense mais comment on devrait penser. Pas comment on perçoit. Depuis Platon, on sait que ce qu’on perçoit est con.

On en reparlera…..


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